DUHAMEL ANTOINE (1925-2014)
Le compositeur de musiques de films
En 1957, un ami qui ne peut assurer l'écriture d'une musique pour un film publicitaire lui demande de le remplacer. Antoine Duhamel entre donc de nouveau dans le monde de l'image, mais par la petite porte. Malgré les contraintes et la frustration que cela peut représenter, il assume totalement cette activité dont il a toujours dit qu'elle lui avait appris tout ce que sa formation initiale ne lui avait jamais enseigné, c'est-à-dire à composer des javas, du jazz, des paso doble. En 1961, il écrit dans un esprit plutôt moderne un concerto pour orgue et cordes pour Diamètres, un court-métrage de Philippe Condroyer. Il prend alors conscience « qu'une musique composée pour un film pouvait avoir une vie propre, indépendante, comme une œuvre à part entière ».
Après avoir écrit la partition du Chevalier de Maison-Rouge de Claude Barma, premier feuilleton historique de la télévision française, Antoine Duhamel rencontre Jean-Daniel Pollet, qui se prépare à tourner Méditerranée (1963). Pour ce poème visuel sur le creuset de notre monde, sur le rapport entre soleil et mort, il compose trois grands motifs : le thème de la mer, qui évoque le désespoir de la jeunesse et de la mort ; une ballade inspirée d'un thème de bouzouki mais modernisée par l'emploi d'une guitare électrique ; un grand thème grave et sombre issu d'un duo pour violon et violoncelle écrit en 1955. La collaboration avec Pollet se poursuivra à travers de nombreux films, notamment L'Acrobate (1975), Dieu sait quoi (1992) et Ceux d'en face (2000). En 1964, Duhamel signe notamment les musiques de Tintin et les oranges bleues de Philippe Condroyer et du Voleur de Tibidabo de Maurice Ronet. L'année suivante, il rencontre Jean-Luc Godard, qui lui commande la musique de Pierrot le fou : il ne donne aucune indication précise, sa seule demande étant de lui composer des thèmes dans le style de Schumann. Duhamel réalise que la dualité du personnage Ferdinand-Pierrot correspond à la schizophrénie de Schumann. Pour ce film sur l'amour et sur la mort, il décide de bâtir une musique centrée sur cette personnalité déchirée entre l'émotion et la violence. Trois ans plus tard, Godard lui demande pour Week-end une musique beaucoup plus dissonante et des rythmes plus violents. Il compose notamment un lamento de neuf minutes qui accompagne le long plan-séquence où Mireille Darc dit un texte érotique de Georges Bataille. Ce lamento devait masquer certaines phrases pour éviter la censure.
En 1968, Duhamel rencontre François Truffaut. Il écrit pour lui la musique de Baisers volés, dont le titre est emprunté à la chanson de Charles Trenet Que reste-t-il de nos amours ?, que Truffaut utilise dans le film ; afin de garder une tonalité homogène, Duhamel compose un thème qui reprend les trois premières notes de la chanson. Cette collaboration se prolonge avec La Sirène du Mississippi (1968), L'Enfant sauvage (1969) et Domicile conjugal (1970). Dans ce dernier film, marqué par Stravinski, la musique des Pink Floyd et celle de Franck Zappa, Duhamel prend un parti résolument moderne pour ce scénario qui raconte les difficultés relationnelles du couple Doinel. Ce type de recherche n'est pas du goût de Truffaut, qui préfère une écriture musicale classique. Il accepte néanmoins la musique, mais décide d'arrêter leur collaboration.
En 1974, Bertrand Tavernier lui demande de travailler sur un film d'époque intitulé Que la fête commence. Alors qu'il fallait une musique dans l'esprit du xviiie siècle, Duhamel choisit d'exhumer Penthé, opéra de 1705 composé par Philippe d'Orléans, personnage principal du film. Il en sélectionne quelques pages et les orchestre de façon moderne. Un peu à la manière d'un Stravinski dans sa période néo-classique, il traite l'histoire avec le regard d'un compositeur[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Juliette GARRIGUES : musicologue, analyste, cheffe de chœur diplômée du Conservatoire national supérieur de musique de Paris, chargée de cours à Columbia University, New York (États-Unis)
Classification