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LAVOISIER ANTOINE LAURENT (1743-1794)

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Les grands travaux scientifiques

En 1768, il entreprit d'approfondir la nature des quatre éléments considérés depuis l'Antiquité comme porteurs d'une réalité inaccessible à l'analyse scientifique : la terre, l'eau, l'air et le feu.

Certes, les chimistes contemporains utilisaient déjà la balance, car depuis la diffusion de la mécanique newtonienne tous connaissaient le principe de la conservation de la matière, que personne n'avait éprouvé le besoin de formuler explicitement ; mais, comme en dehors des essais sur les métaux précieux la chimie n'avait pas dépassé le stade d'une analyse qualitative imprécise, la pesée ne faisait pas partie des manipulations systématiques. Lavoisier, qui sa vie durant devait rechercher la précision en toute chose, aborda ce problème avec le souci de suivre par la pesée les modifications qu'entraînaient toutes les manipulations. Son attention se porta en premier lieu sur les expériences par lesquelles on avait prétendu prouver la possibilité de changer l'eau en terre. En observant le développement d'un végétal dans un vase empli de terre simplement arrosée, Van Helmont avait cru pouvoir conclure que l'eau devait se changer en terre pour former la masse de ce végétal. Boyle avait abouti à la même conclusion, après avoir constaté qu'une once d'eau distillée deux cents fois dans un vase finissait par y laisser six drachmes de terre. Lavoisier répéta l'expérience dans un pélican de verre hermétiquement clos et pesé à l'avance, dans lequel il maintint l'eau en ébullition durant cent jours. Il constata que le poids total du système n'avait pas varié et que la quantité de matière terreuse passée à la longue en dissolution ou en suspension dans l'eau avait un poids égal à celui perdu par le pélican.

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Lavoisier s'intéressa ensuite aux problèmes de saturation des phosphates, à l'étude des sels magnésiens, du bleu de Prusse, de l'acide spathique et de l'acide citrique. Son attention ayant été attirée en 1772 sur les nouveaux « airs » découverts par Joseph Priestley, il décida d'étudier ces « airs » et les phénomènes de la combustion. Commençant par répéter les expériences de ses prédécesseurs, il fut dès l'abord frappé par l'augmentation du poids des métaux par la calcination. Cette constatation lui ayant montré l'inutilité de recourir à la théorie du phlogistique (cf. chimie-Histoire), il fit part de ses idées dans deux articles anonymes publiés dans le Journal de physique en octobre 1773 et en mars 1774. En janvier 1774, il fit paraître sous son nom le premier tome des Opuscules physiques et chimiques, dans lesquels il faisait l'historique des « émanations élastiques qui se dégagent des corps pendant la combustion, pendant la fermentation et pendant les effervescences » et exposait de « nouvelles recherches sur l'existence d'un fluide élastique fixé (acide carbonique) dans quelques substances et sur les phénomènes qui résultent de son dégagement ou de sa fixation ». Priestley, de passage à Paris en octobre 1774, annonça à Lavoisier qu'en chauffant sur une cuve à mercure le précipité per se (oxyde mercurique rouge), au moyen des rayons solaires concentrés par une forte lentille, il venait d'obtenir ce qu'il appelait l'« air déphlogistiqué ». Lavoisier refit l'expérience et fut le premier à comprendre que l'air privé de phlogistique était en réalité un « air » particulier. Il venait de découvrir que l'air de l'atmosphère était un mélange de deux gaz différents : l'air vital (l'oxygène) et la mofette (l'azote), le phlogistique n'ayant rien à voir dans sa composition.

Les expériences ultérieures de Lavoisier établirent le rôle de l'air vital dans la formation de l'acide phosphorique et de l'acide sulfurique, ce qui l'amena à lui donner en 1779 le nom de principe oxigine, qu'il écrira plus tard principe oxigène (oxus, acide), au sens de principe acidifiant. Cette conception trop absolue le conduisit à méconnaître la nature de l'acide muriatique (acide chlorhydrique) et surtout celle du chlore qu'il considérait, non comme le radical de l'acide muriatique, mais, au contraire, comme de l'acide muriatique oxygéné.

Dans toute combustion, reconnut Lavoisier, il y a dégagement de la matière du feu et de la lumière. La théorie du phlogistique reposait sur ce fait exact qu'il se perd quelque chose dans les réactions chimiques, notamment dans la combustion et l'oxydation, mais ce quelque chose n'est pas de la matière pesante, c'est de la chaleur. Lavoisier fut ainsi conduit à se représenter la chaleur comme un fluide igné, constituant la matière commune du feu, de la chaleur et de la lumière, qu'il appela le calorique. De même que le rôle de l'eau est double, suivant qu'il s'agit de l'eau de combinaison ou de l'eau de dissolution, il convient, écrivait-il, de distinguer dans les corps le feu de dissolution, c'est-à-dire le feu libre, celui qui se borne à élever la température des corps, et le feu de combinaison. Presque tous les corps, ajoutait-il, peuvent exister dans trois états différents : l'état solide, l'état liquide, l'état d'« air » ou de vapeur, tous trois ne dépendant que de la quantité plus ou moins grande de la matière du feu dont les corps sont pénétrés et avec laquelle ils sont combinés.

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La théorie de la formation des acides amenait Lavoisier à supposer que la combustion de l'air inflammable (hydrogène), isolé en 1766 par Cavendish, devait produire un acide. Déconcerté par les premiers résultats, il fit construire deux caisses pneumatiques, afin de pouvoir expérimenter en grand avec précision. Le 24 juin 1783, dans son laboratoire de l'Arsenal, il combina dans une cloche l'air déphlogistiqué et l'air inflammable tiré du fer par l'acide vitriolique. L'opération produisit de l'eau pure, qui ne rougissait pas la teinture de tournesol. Lavoisier en conclut que l'eau n'est pas une substance simple et qu'elle est composée d'air inflammable et d'air vital. En juillet suivant, l'Académie royale des sciences nomma Lavoisier l'un des commissaires chargés d'examiner une machine aérostatique inventée par C. et R. Montgolfier. La question provoqua des recherches sur la préparation en grande quantité de l'hydrogène en faisant passer de l'eau sur du fer rougi et conduisit Lavoisier aux expériences sur la décomposition et la recomposition de l'eau, qu'il réalisa en février et mars 1785. En avril suivant, Berthollet annonça à l'Académie qu'il abandonnait la théorie du phlogistique et se rangeait aux idées de Lavoisier.

Dans la connaissance des composés organiques, Lavoisier fit un premier pas par ses idées sur le rôle de l'oxygène dans la génération des acides organiques. Il constata la fixation de l'oxygène sur le sucre, dans la formation de l'acide oxalique au moyen de l'acide nitrique. Étudiant la fermentation du vin, il reconnut la décomposition du sucre : une portion du carbone se transforme en acide carbonique, tandis que l'autre, unie à l'hydrogène et à l'eau ajoutée, constitue l'alcool. En 1787, Berthollet découvrit que l'azote était le principal constituant de l'ammoniaque, de l'acide prussique et des matières animales. Cette découverte ruinait les théories animistes et montrait définitivement que les êtres vivants ne formaient pas un domaine différent du reste de la nature, vérité qu'avait pressentie Lavoisier en étudiant la respiration et la chaleur animales.

Lorsque, en 1776, il avait repris les expériences sur les faits signalés par Priestley, Lavoisier avait constaté à son tour que l'air privé d'oxygène par l'oxydation du mercure était devenu aussi méphitique que l'air altéré par la respiration d'un moineau et dont il avait absorbé l'acide carbonique par la potasse. Après avoir reconstitué l'air primitif en ajoutant l'oxygène disparu à la première mofette provenant de l'oxydation du mercure et à la seconde mofette provenant de la respiration animale, il avait constaté que dans les deux cas cet air permettait aussi bien d'entretenir la combustion que la vie animale. Les relations entre l'air, l'oxygène et l'acide carbonique dans la respiration étant établies, restaient à comprendre l'action de l'oxygène sur l'être vivant et l'origine de l'acide carbonique. L'analogie avec la couleur des oxydes de mercure et de plomb amena Lavoisier à attribuer la coloration rouge du sang artériel à l'absorption d'oxygène. Il compara la chaleur animale à celle des combustions vives, estimant que l'air fournissait l'oxygène et la chaleur, tandis que le sang véhiculait le combustible, restitué incessamment par les aliments. En 1783, il reprit la question avec Laplace. Tous deux mesurèrent les effets de la respiration d'un cochon d'Inde, qu'ils comparèrent à la combustion d'une bougie, en utilisant une balance et un calorimètre. « Lorsqu'un animal est dans un état permanent et tranquille, de telle sorte qu'après plusieurs heures le système animal n'éprouve point de variation sensible, la conservation de la chaleur animale est due au moins en grande partie, conclurent-ils, à la chaleur que produit la combinaison de l'oxygène respiré avec la base de l'air fixe que le sang lui fournit. » La respiration, signala Lavoisier, est l'origine d'une combustion lente, analogue à celle du charbon. À partir de 1789, il poursuivit avec son élève, Armand Seguin, l'étude de la respiration et de la transpiration. Dans le prix sur la nutrition proposé en 1793 par l'Académie des sciences, il dressa un programme de recherches sur la chimie physiologique en demandant l'étude des fonctions du foie.

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Dès son arrivée à la Régie des poudres, Lavoisier s'était préoccupé d'améliorer et d'accroître la fabrication du salpêtre, afin de supprimer les importations considérables de ce produit venant de l'Inde. Sous son impulsion, plusieurs mémoires furent publiés et l'on perfectionna les procédés de raffinage (lavage à froid du salpêtre brut). La production française de salpêtre doubla de 1776 à 1788 et permit d'approvisionner l'armée américaine. Le jeune Éleuthère Irénée Du Pont de Nemours, fils du physiocrate, que Lavoisier forma en 1788 à l'Arsenal, compléta ses connaissances à la poudrerie d'Essonnes, acquérant ainsi la spécialisation qui lui permettra de monter, en 1804, à Wilmington (Delaware), une poudrerie appelée à un très grand avenir.

La méthode de nomenclature chimique

Louis-Bernard Guyton de Morveau, avocat général au parlement de Bourgogne de 1762 à 1782, avait appris la chimie dans les livres de P. J. Macquer et s'était fait un nom par le cours de chimie qu'il professait à Dijon, ainsi que par ses découvertes : propriétés désinfectantes du chlore, emploi du blanc de zinc dans la peinture... Chargé par un éditeur de rédiger le Dictionnaire de chimie pour la collection de l'Encyclopédie méthodique, Guyton ressentit l'intérêt de mettre un peu d'ordre dans le fatras de faits à exposer. Vers 1760, on ne connaissait encore que six acides, deux « terres solubles », onze substances métalliques et une trentaine de sels. Certains composés des métaux étaient désignés par référence aux dieux de l'Antiquité : Vénus (cuivre), Mars (fer), Jupiter (étain). Les autres produits chimiques avaient reçu un nom qui rappelait leur aspect, l'une de leurs propriétés, leur origine ou leur inventeur, ainsi huile de vitriol (acide sulfurique), huile de tartre par défaillance (potasse mélangée de carbonate de potassium), laine philosophique (oxyde de zinc), sel sédatif (acide borique), sel d'yeux d'écrevisses (acétate de calcium), sel d'Epsom (carbonate de magnésium), liqueur fumante de Libavius (chlorure stannique), sel de Seignette (tartrate de sodium). La découverte de nouveaux corps depuis 1766 avait provoqué une inflation de synonymes, qui causait une énorme confusion : le gaz carbonique, par exemple, appelé esprit sauvage par Van Helmont, avait reçu près d'une vingtaine de dénominations. Cette anarchie était encore accrue par les noms du commerce, les droguistes appelant couperose verte le vitriol de Mars et couperose blanche le vitriol de zinc. Pour limiter l'étendue de ce désordre, des chimistes frappés par l'emploi du terme générique de chaux (oxydes) et s'inspirant des méthodes de classification des naturalistes, avaient groupé certains composés que rapproche une parenté évidente, tels les sels d'un même acide, et formé la classe des vitriols et celle des nitres. Dans un Mémoire sur les dénominations chimiques, la nécessité d'en perfectionner le système, et les règles pour y parvenir, publié en mai 1782 dans le Journal de physique, Guyton posa les cinq règles fondamentales du langage chimique rationnel :

– Chaque substance doit avoir un nom et ne pas être désignée par une circonlocution.

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– Le nom d'un composé chimique doit en évoquer les constituants et le caractériser sans rappeler le nom de l'inventeur (en application des deux premières règles, « sel marin à base de terre pesante » devenait muriate de barote, « sel de succin retiré par la cristallisation » était à remplacer par acide succinique cristallisé, « sucre de Saturne » par acétate de plomb, « lune cornée » par muriate d'argent).

– Toute substance de composition incertaine doit recevoir une dénomination ne signifiant rien, plutôt qu'une autre pouvant exprimer une idée fausse (ainsi Bergman conseillait de désigner l'air essentiel à la respiration par l'expression d'air sain ou d'air pur, au lieu d'air déphlogistiqué, « jusqu'à ce que l'on ait pleinement éclairci les faits qui semblent y annoncer la présence du phlogistique »).

– Les termes nouveaux sont à former d'après des racines prises dans les langues mortes les plus généralement répandues, c'est-à-dire le grec ou le latin (cette règle avait conduit Guyton à proposer d'appeler barote la terre du spath pesant, d'après barus, lourd).

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– Enfin les noms doivent être assortis au génie de chaque langue (dans le tableau qui terminait son Mémoire, Guyton donnait une liste des termes proposés, groupés par famille de corps).

Malgré ses contacts avec Lavoisier, au cours de deux séjours à Paris en 1775 et 1779, Guyton était resté partisan de la théorie du phlogistique, d'après laquelle il écrivit le premier demi-volume du Dictionnaire de chimie paru le 8 mai 1786. En décembre suivant, Guyton partit pour Paris, où il demeura huit mois. C'est alors qu'il se convertit à la nouvelle doctrine (exposée dans le deuxième demi-volume du Dictionnaire de chimie publié le 23 novembre 1789) et qu'avec Lavoisier, Berthollet et de Fourcroy il mit au point la nomenclature chimique. Sa nomenclature de 1782 fut conservée à quelques retouches près. Un genre unique, le masculin, fut adopté pour les noms de corps simples, manganèse, molybdène, platine et tungstène cessant d'être féminins. Barote fut remplacé par baryte, répondant mieux à l'étymologie. L'innovation la plus importante fut la création de trois noms pour les corps étudiés par Lavoisier : oxygène, hydrogène, azote, qui se prêtaient aisément à la dérivation en verbes et substantifs. Sous l'influence de Lavoisier, des suffixes en -ate, -ite, -ique furent adoptés pour les corps de même nature ; vitriols, acètes, borax, proposés en 1782 par Guyton, devinrent sulfates, acétates, borates. Le 18 avril 1787, Lavoisier lut à l'Académie royale des sciences son Mémoire sur la nécessité de réformer et de perfectionner la nomenclature chimique, où il plaçait l'œuvre entreprise avec les trois autres chimistes sous le patronage de Condillac et exposait la philosophie suivie pour établir la nomenclature. Les corps simples, c'est-à-dire ceux qui n'ont pu jusqu'à présent être décomposés, ou éléments, sont divisés en cinq classes. La première classe comprend ceux qui paraissent approcher le plus près de l'état de simplicité : lumière, calorique, oxygène, hydrogène, azote. Viennent ensuite la deuxième classe (vingt-cinq bases acidifiables), la troisième (dix-sept substances métalliques), la quatrième (cinq terres) et la cinquième (trois alkalis). Le tableau de la nomenclature dispose ces cinq classes en colonnes : colonne I (substances non décomposées) au regard de laquelle les nouveaux noms proposés pour les combinaisons se répartissent en colonnes II (substances mises à l'état de gaz par le calorique), III (substances combinées avec l'oxygène), IV (substances oxygénées gazeuses, suivies à partir de l'arsenic par les oxydes avec diverses bases), V (substances oxygénées avec bases) et VI (substances combinées sans être portées à l'état d'acide). Au bas du tableau sont indiquées les dénominations appropriées de diverses substances plus composées et qui se combinent sans décomposition (muqueux, gluten, sucre, amidon, huile fixe, huile volatile, arôme, résine, extractif, extracto-résineux, résino-extractif, fécule, acohol, savon). Dans son mémoire du 18 avril 1787, Lavoisier avait notamment écrit : « Il est temps de débarrasser la chimie des obstacles de toute espèce qui retardent ses progrès, d'y introduire un véritable esprit d'analyse, et nous avons suffisamment établi que c'était par le perfectionnement du langage que cette réforme devait être opérée. Nous sommes bien éloignés sans doute de connaître tout l'ensemble, toutes les parties de la science ; on doit donc s'attendre qu'une nomenclature nouvelle, avec quelque soin qu'elle soit faite, sera loin de son état de perfection ; mais pourvu qu'elle ait été entreprise sur de bons principes, pourvu que ce soit une méthode de nommer, plutôt qu'une nomenclature, elle s'adaptera naturellement aux travaux qui seront faits dans la suite ; elle marquera d'avance la place et le nom des nouvelles substances qui pourront être découvertes et elle n'exigera que quelques réformes locales et particulières. » Le 5 mai 1787, J.-H. Hassenfratz et P.-A. Adet, élèves de Lavoisier, présentèrent à l'Académie un Mémoire sur les nouveaux symboles établis en accord avec la nomenclature. Dans son Rapport sur les nouveaux caractères chimiques lu le 27 juin suivant, Lavoisier donnait les indications suivantes, révélatrices de ce fait que, malgré son génie, il ne pouvait penser qu'en homme du xviiie siècle : « Tous les corps de la nature sont solides, liquides ou aériformes suivant le degré de chaleur auquel on les expose. Il est donc nécessaire de distinguer dans toute espèce de gaz le calorique qui fait office de dissolvant et la substance qui lui est unie, et qui lui sert de base. L'air vital a donc sa base, et c'est à cette base que nous donnons le nom d'oxygène. Nous distinguons également la base du gaz inflammable, et c'est elle que nous désignons par le mot d'hydrogène. Nous ne dirons donc pas que l'air vital se combine avec les métaux pour former les chaux métalliques ; cette manière de nous énoncer ne serait pas suffisamment exacte ; mais nous dirons que, lorsqu'un métal est élevé à un certain degré de température, lorsque ses molécules ont été écartées jusqu'à un certain point les unes des autres par la chaleur et que leur attraction a été suffisamment diminuée, il devient susceptible de décomposer l'air vital, d'enlever sa base, c'est-à-dire l'oxygène, au calorique et qu'alors ce dernier devient libre. » L'ensemble de ces mémoires fut imprimé en août 1787 sous le titre : Méthode de nomenclature proposée par MM. de Morveau, Lavoisier, Bertholet [sic] et Fourcroy. On y a joint un nouveau système de caractères chimiques, adaptés à cette nomenclature par MM. Hassenfratz et Adet. Lavoisier remania son mémoire sur la nomenclature pour former le discours préliminaire du Traité élémentaire de chimie présenté dans un ordre nouveau et d'après les découvertes modernes, publié en 1789.

L'agronome et l'économiste

L'expérience agronomique que Lavoisier tira de l'exploitation de ses propriétés, dont il pesa la production, lui valut de faire partie, de 1785 à 1787, du Comité d'agriculture, où il se lia avec le physiocrate Pierre-Samuel Dupont et présenta plusieurs mémoires sur le parcage des bêtes à laine, sur les fumiers et sur le trèfle. Dans ce domaine de la chimie agricole, son œuvre devait être reprise et poursuivie par Jean-Baptiste Boussingault (1802-1887).

Quoique noble, Lavoisier représenta en 1787 l'électorat de Romorantin dans l'ordre du tiers à l'assemblée provinciale de l'Orléanais. Il rédigea plusieurs rapports copieux pour le Bureau du bien public et de l'agriculture. Au sujet de la corvée, dont il avait souligné le caractère d'injustice au Comité d'agriculture, il proposa d'abolir les privilèges de la noblesse et de faire payer la prestation par les inscrits aux rôles des vingtièmes. À propos de l'agriculture, il insista sur l'état d'insalubrité de la Sologne. Traitant du commerce et de l'industrie, il demanda le remplacement des droits frappant les marchandises par un abonnement de la province. Enfin, il préconisa la création à Orléans d'une caisse d'épargne du peuple alimentée par des versements destinés à procurer une rente viagère à l'âge de soixante ans. Ces rapports montrent que Lavoisier partageait encore les illusions de Charles-Alexandre de Calonne sur la possibilité de faire adopter des réformes par la noblesse et le clergé.

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En mars 1789, à Blois, après avoir été rejeté par le tiers état du bailliage, il fut accueilli par la noblesse qui l'élut député suppléant aux états généraux. La question des assignats retint d'autant plus son attention qu'il faisait partie de la Caisse d'escompte. À la Société de 1789, réunissant des partisans de la monarchie constitutionnelle, il lut, le 29 août 1790, des Réflexions sur les assignats et sur la liquidation de la dette. Estimant à 2 milliards de livres le numéraire existant en France, à 1 800 millions les domaines nationaux susceptibles d'être mis en vente, il considérait, compte tenu des assignats déjà émis et du déficit prévisible sur les rentrées d'impôts, que l'émission du solde des assignats pourrait tout au plus atteindre le milliard, à condition d'être faite lentement.

Le 15 mars 1791, Lavoisier présenta à la Constituante un mémoire sur la richesse territoriale de la France, où il chiffrait le produit national net, en vue de situer la limite de la ponction fiscale tolérable, car pour lui « ce n'est pas aux prétendues nécessités des États que l'impôt doit être proportionné, mais à leur richesse disponible ». Ce qu'il appelait produit national net correspondait à la notion physiocratique d'une seule catégorie de revenus, celle des propriétaires du sol. Afin de déterminer le revenu territorial convertible en argent, qui totalise ce que consommaient les Français, Lavoisier commença par différencier les consommateurs par sexe, groupe d'âge, habitat (citadins ou ruraux) et profession, en se fondant sur les travaux démographiques de Moheau et de La Michaudière. Une vaste enquête sur les budgets familiaux d'après les statistiques de la Ferme générale et les observations des curés de campagne lui avait permis d'estimer les dépenses des ménages des villes et des campagnes. Il recoupa cette estimation par comparaison avec la paie du soldat, supposée égale à la consommation moyenne de l'homme adulte ; il trouva que la consommation individuelle moyenne atteignait 110 livres par an et correspondait à 2 750 millions de livres pour une population de 25 millions d'habitants. Le revenu net du royaume, représenté par la valeur des céréales consommées, s'élevait à 1 200 millions de livres, lorsque le blé valait deux sols la livre, mais devait être abaissé à 1 milliard pour tenir compte des prix réels du blé, du seigle et de l'orge. Lavoisier considérait que l'imposition foncière, fixée au sixième par la Constituante, ne pourrait dépasser 210 millions de livres, soit 30 millions de moins que prévu. Le mémoire de Lavoisier se terminait par des tableaux détaillés concernant la répartition de la population, le cheptel, la consommation de céréales, de viande et de vin, la surface des cultures. Sa qualité valut à son auteur d'être nommé l'un des six commissaires de la Trésorerie nationale. Dans cette branche de l'économie politique, Lavoisier apparaît, de même qu'en chimie agricole et en physiologie, comme un précurseur sans disciples.

Les autres travaux scientifiques

Le 17 décembre 1788, Lavoisier lut à l'Académie des sciences des observations générales sur les couches modernes horizontales ; il y formula la théorie géologique du « profil limite » dans les régions côtières.

Ses nombreux rapports à l'Académie, quel qu'en soit le sujet, sont remarquables par la rigueur du raisonnement et la qualité du style au service d'une pensée sans cesse en alerte devant l'étendue des faits restant à étudier. Le souci de la précision, qu'il apportait en toute chose, le conduisit, par exemple, à déplorer l'absence de nivellement de précision. « Nous n'avons point encore un nivellement exact depuis Paris jusqu'à l'océan, déclarait-il. Ce serait une entreprise bien digne des ingénieurs des Ponts et Chaussées et qui serait très utile pour la physique. On varie sur cette hauteur depuis 42 pieds jusqu'à 180. » Cette réflexion lui était inspirée par sa participation à la commission des poids et mesures de l'Académie, chargée de définir les bases du système métrique. Son travail le plus notable en ce domaine consista, en janvier 1793, à déterminer avec R. J. Haüy la valeur de la nouvelle unité de masse, le grave (appelé kilogramme par la suite) ; leur résultat était approché à 1/20 000 près par défaut. Les documents qui subsistent révèlent que Lavoisier n'avait pas la même conception de l'étalon de masse sous l'Ancien Régime que la plupart des autres physiciens. Pour lui, l'étalon était le marc creux (demi-livre) de la pile de Charlemagne, actuellement au C.N.A.M., et non la pile considérée d'ordinaire comme pesant exactement 50 marcs. Les discussions provoquées par cette divergence d'interprétation amenèrent Lefèvre-Gineau à reprendre la détermination en 1799.

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La suppression des Académies, décrétée le 8 août 1793 par la Convention, précéda de peu la fin de l'activité scientifique de Lavoisier, marquée par son emprisonnement le 28 novembre 1793 en même temps que ses anciens collègues de la Ferme. Les lettres qu'il recevait l'avaient rendu suspect bien avant la loi du 17 septembre 1793. Le gouvernement révolutionnaire considérait avec quelque raison les fermiers généraux comme des ennemis de la République, qui devaient être guillotinés le 19 floréal an II (8 mai 1794). Le partisan de la monarchie constitutionnelle qu'était Lavoisier portait, sans s'en rendre compte, quelques-unes des contradictions fondamentales de son époque de transition brutale. Par son activité à la Ferme, il avait été l'un des soutiens financiers de l'Ancien Régime, alors que, par ses travaux de laboratoire, il faisait progresser la science et contribuait par là même à l'avènement au pouvoir de la grande bourgeoisie. Mais il saisissait imparfaitement le sens des événements qu'il vivait. Cette incompréhension donne un caractère dramatique au mouvement dialectique de l'histoire et confère au destin de l'illustre chimiste sa grandeur tragique.

— Arthur BIREMBAUT

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Écrit par

  • : ingénieur civil des Mines, membre correspondant de l'Académie internationale d'histoire des sciences, professeur à l'université de Paris-I

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<it>Portrait d'Antoine Laurent Lavoisier et de sa femme</it>, J.-L. David - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Portrait d'Antoine Laurent Lavoisier et de sa femme, J.-L. David

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