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LEMIERRE ANTOINE MARIN (1723 env.-1793)

La date de naissance d'Antoine Lemierre est incertaine : 1721 ? 1723 ? 1733 ? Tous ses biographes répètent qu'il avait « des idées, de l'imagination, de la verve » mais regrettent les cahots de sa versification, la rudesse abrupte de son style. L'un d'eux remarque avec finesse : « Dorat et lui, fondus ensemble, eussent fait un grand poète. » (On pourrait en dire autant de Delille et de Roucher.) Lemierre était né malingre et malin : ses saillies, sa fatuité ne l'ont pas fait prendre au sérieux par ses contemporains. Il compte pourtant parmi les poètes les plus doués de l'ère des Lumières. Au théâtre, il est l'un des rares dramaturges capables, après Crébillon et Voltaire, de renflouer la tragédie : on trouve dans Hypermnestre (1757), Guillaume Tell (1768), La Veuve du Malabar (1770) des situations fortes, de belles péripéties et des répliques dignes de Corneille. On disait des tragédies de Lemierre qu'elles « étaient faites à peindre ». Dans le domaine de la poésie, Lemierre a laissé des épîtres (1753-1757), deux poèmes (La Peinture, 1769 ; Les Fastes, 1779) et des pièces fugitives. Aucun de ces ouvrages n'est négligeable. Les épîtres mettent le didactisme au service de la technique, selon l'esprit de l'Encyclopédie : Lemierre porte sur l'humanité au travail le coup d'œil de l'économiste et il lance ce distique très admiré de Mirabeau :

Croire tout découvert est une erreur profonde : C'est prendre l'horizon pour les bornes du monde.

Le didactisme est franchement débordé avec La Peinture, qui offre tout autre chose que l'enseignement d'un art : poème prométhéen et alchimiste, appel insistant à l'audace, exaltation du génie créateur envisagé comme une force organique d'essence irrationnelle et sentimentale, cet ouvrage est traversé d'un romantisme qui s'ignore. Il peint en trois étapes l'apparition du portrait sur la toile, au début cadavre inerte, à la fin figure vivante, et culmine sur une transfiguration : le poète métamorphosé en aigle s'élève au ciel tandis qu'un feu pur « trace en sillons de flamme : Invente, tu vivras ». Avec Les Fastes, Lemierre emboîte le pas au genre descriptif et tente la formule originale (qui demeura totalement incomprise) d'un populisme avant la lettre : ce poème en seize chants écrit en alexandrins trébuchants est, comme Les Mois, une espèce de tour du monde au rythme du calendrier ; c'est aussi un Génie du christianisme auquel manque le génie, et c'est enfin, dans l'intention de l'auteur, un Ulysse faiblement réussi, une célébration de la ruse industrieuse capable, à l'occasion, de suppléer à la force pure. On a retenu ce vers charmant : « Même quand l'oiseau marche, on sent qu'il a des ailes. » Il y avait en Lemierre un poète à peu près seul de son espèce à l'époque, un enfant du peuple resté proche de ses origines et capable de les peindre avec vérité, un adepte de la psychologie collective, voire un précurseur de l'unanimisme. Humble « ami du peuple » et naïvement épris du bien général, il est pris au dépourvu par les « excès » de la Révolution ; il meurt, frappé d'hébétude, en pleine Terreur.

— Édouard GUITTON

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Écrit par

  • : professeur de littérature française à l'université de Rennes-II-Haute-Bretagne

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