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MÉRÉ ANTOINE GOMBAUD chevalier de (1607-1684)

Il y a aujourd'hui trois facettes du personnage d'Antoine Gombaud, chevalier de Méré, qui méritent de retenir l'attention : l'« honnête homme », l'interlocuteur de Pascal, l'écrivain.

Il est certain que, pour ses contemporains, Méré, hôte régulier des salons de Mme de Rambouillet ou de la duchesse de Lesdiguières, un temps rival de Voiture qu'il n'estimait guère, a incarné l'« honnêteté ». En ceci que l'on peut dire que, cas sociologique, il est une des figures les plus étonnantes du xviie siècle. Car, issu de petite noblesse provinciale, démuni de toute fortune et n'ayant rien d'autre à faire valoir qu'un type de comportement, une « mentalité » ou l'agrément d'une présence, il va exercer une réelle influence sur le milieu où il évolue. Il est la vivante représentation de cet homo sociabilis dans lequel l'élite parisienne aura aimé à se retrouver et à se complaire jusqu'en 1670 environ. Un modèle pour tous, y compris pour la jeune Françoise d'Aubigné (« la belle indienne »), future Mme de Maintenon, qui pendant sa période mondaine ne cherchera rien d'autre que se rendre, à son image, « aimable », et ne renoncera jamais, dans la religion même, à pratiquer la raison.

Cette rencontre d'un homme avec son temps est précisément ce qui fascinera Pascal. Le Pascal de 1653-1654, qui fait la connaissance de Méré dans le cercle des Roannez, fait aussi avec lui l'apprentissage et subit l'épreuve de la mondanité. Méré commence par le séduire, l'arrache à la contemplation de l'absolu mathématique, l'ouvre au commerce des hommes, le convertit — par sa seule existence — à cette autre science fondamentale, qui est celle des esprits. Il est l'occasion et parfois l'initiateur. C'est lui, par exemple, qui suggèrera à Pascal la solution des premiers calculs de probabilité ; de lui encore, sans doute, l'ébauche d'une définition de l'esprit de finesse. Mais, surtout, dans la genèse du dessein apologétique de Pascal, Méré comme Mitton, « esprit fort », libre penseur, et par ailleurs quelque peu disciple de Montaigne, tient la place de l'interlocuteur privilégié ; il est celui, indispensable, qu'il faut convaincre : et quel meilleur argument pour décider un joueur que celui du pari ?

Écrivain, Méré débute dans la carrière par une intéressante correspondance avec Guez de Balzac pour qui son admiration ne se démentira jamais. Sans se montrer l'égal de l'unico eloquente ni non plus son faire-valoir, il révèle une écriture déjà précise, vive, saillante, inventive. Vers le tard, il se découvre auteur, publie successivement Conversations, Discours, Les Aventures de Renaud et Armide, essaie de se faire le théoricien d'un art d'être et de vivre. Des Œuvres posthumes (1700) et une recollection de ses poésies complètent notre documentation. Ses Lettres (éditées par ses soins en 1682) contiennent peut-être le meilleur de lui-même. Sans être un grand écrivain, Méré peut être lu avec profit : ses textes nous ouvrent les portes d'un esprit et d'un monde.

— Jacques PRÉVOT

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, docteur ès lettres, maître assistant à l'université de Paris-X

Classification

Autres références

  • HONNÊTE HOMME

    • Écrit par
    • 414 mots

    Presque tous les écrivains du xviie siècle ont dessiné, enrichi ou reproduit le portrait idéal de l'honnête homme. Socialement, ce dernier ne se conçoit guère sans une aisance propre à le libérer des travaux « mécaniques ». Méré le verrait aussi bien vivre dans une cabane qu'à la cour : hypothèse...

  • FRANÇAISE LITTÉRATURE, XVIIe s.

    • Écrit par
    • 7 270 mots
    • 3 médias
    ...d’alors. Les Pensées n’eurent-elles pas pour projet avoué de convertir des chrétiens « tièdes » liés d’amitié avec Pascal comme Mitton ou le chevalier de Méré, théoriciens de l’honnêteté dans le sillage une fois encore de Montaigne, et héritiers plus lointains des réflexions de l’Italien ...