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VITEZ ANTOINE (1930-1990)

L'instance supérieure

Comme Goethe, Vitez a toujours les yeux rivés vers le grand, vers le haut. Et même les formes dites mineures qu'il apprécie – les marionnettes, la farce –, il les envisage toujours comme des réductions ou des retournements du monde des valeurs supérieures. Il a réalisé La Ballade de Mister Punch (1979), spectacle de marionnettes d'après la tradition anglaise, ou La Jalousie du Barbouillé, farce de Molière (1974), à côté de spectacles inspirés par les événements de la presse comme La Rencontre de Georges Pompidou avec Mao Zedong (1979) ou Entretien avec M. Said Hammadi, ouvrier algérien (1982). Vitez souligne volontiers que les grands modèles du pouvoir se reproduisent à petite échelle dans les milieux quotidiens : chez les Atrides ou à la cuisine, à la cour d'Angleterre et dans la cour d'école, les mêmes mécanismes opèrent. Entre ces deux espaces, il existe un point où la jonction se réalise : le théâtre. Le metteur en scène, en médiateur, les rapproche et révèle leur parenté de fonctionnement.

Vitez conçoit le petit comme le microcosme où l'on reconnaît l'ordre du macrocosme politique et la scène comme le foyer qui peut capter les grands courants qui agitent l'histoire. Parallèlement, s'il défend l'art du théâtre, c'est tout en rappelant à chaque fois ses rapports à l'histoire et au monde, et en soulignant qu'il n'est ni autonome ni éternel, mais en jonction avec le politique dont on ne retrouve pas sur scène l'expression directe. Vitez pense que le théâtre participe aux combats du présent en retrouvant leur expression dans les textes anciens. Et peut-être nul autre spectacle n'a-t-il mieux dit cela qu'Électre de Sophocle, par trois fois mis en scène (1966, 1971, 1986). Là, « le proche et le lointain » s'allient pour donner à la tragédie cette double dimension temporelle qui la rattache aux origines et l'implique dans les combats d'aujourd'hui.

À la fois somme et sommet, Le Soulier de satin de Paul Claudel (1987) marque la fin du passage de Vitez à Chaillot. Ici, le metteur en scène a mis en place sur fond de décor naïf – toujours signé par Yannis Kokkos – toute sa réflexion sur les pouvoirs du théâtre, car jamais le verbe ne fut plus puissant et l'ampleur de l'imagination plus vaste. Il a su réunir la grandeur du poème et la multiplicité des formes du récit, et de ce mariage est née l'extraordinaire puissance poétique du Soulier de satin, qui s'inscrit dans le droit fil de l'autre grand spectacle philosophique de Vitez, Hamlet, réalisé comme une épure de l'esprit confronté à l'énigme, comme une aventure mentale sur fond de souvenir des vieilles perspectives à l'italienne. Avec La Célestine de Fernando de Rojas (1989) présentée à Avignon et ensuite à l'Odéon, Vitez réaffirme son attachement à un théâtre philosophique ; le chef-d'œuvre espagnol délaisse le quotidien et sa matérialité immédiate au profit du débat essentiel auquel s'affrontent les personnages : le paradis et l'enfer. Ce « théâtre des idées » se retrouve dans la mise en scène de La Vie de Galilée, de Brecht, qu'il donne à la Comédie-Française en 1990.

En suivant son itinéraire, on voit que Vitez rapporte constamment le travail que la scène accomplit à une instance supérieure sans laquelle sa relation au monde ne saurait s'organiser. La classe sociale, le peuple, la nation pourraient être les repères d'un tel itinéraire qui oblige celui qui est à la fois un artiste d'État et un artiste solitaire à s'interroger sur la meilleure manière de conclure. D'où l'importance, dans ce parcours, que revêt Faust, l'œuvre à laquelle pense constamment l'artiste goethéen qu'est Antoine Vitez.

— Georges BANU[...]

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Écrit par

  • : critique de théâtre, professeur émérite à l'université Paris Sorbonne

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Média

Antoine Vitez - crédits : Daniel SIMON/ Gamma-Rapho/ Getty Images

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