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VOLODINE ANTOINE (1949- )

Un écrivain chamane

C'est en 1977 qu'est née, dans l'espace de la fiction, la littérature post-exotique ; avec Des anges mineurs de Maria Clementi, elle se dotait du premier romånce. Deux ans plus tard, Infernus Iohannes « signait » la première Shagga, avec Miroirs du cadavre. Volodine a ainsi donné, en appendice au Post-exotisme en dix leçons, leçon onze, une bibliographie qui, de 1977 à 2012, rassemble les 343 œuvres de cette bibliothèque seconde. Tous ces textes échappent à la narratologie classique. La mort du narrateur en constitue une dimension capitale : chaque texte est signé par un « écrivain de paille » et dit par « un narrateur pour lequel l'usage est de choisir un détenu récemment disparu ou „suicidé“ ». Ainsi se déploie une logique fictionnelle à plusieurs niveaux, avec laquelle le lecteur doit jouer. Car la dernière manière d'écarter toute filiation avec la littérature officielle, celle des autorités, reste l'intégration du lecteur (celui bien entendu de la prison, personnage à part entière du post-exotisme) dans la configuration narrative. L'autre lecteur, celui que Volodine qualifie de « sympathisant » ou de « lecteur de librairie », pourra certes se plonger dans le texte, en ressentir la force de fascination, sans pouvoir toutefois en percevoir les échos secrets.

Antoine Volodine a constamment réaffirmé sa proximité avec les auteurs du post-exotisme, affirmant qu'il n'y a pas l'épaisseur d'une feuille de papier entre eux et lui. En 2008, Avec les moines-soldats accompagné de Haïkus de prison est attribué à Lutz Bassman, comme le seront Les aigles puent (2010) ou Danse avec Nathan Golshem(2012). L’écrivain a également publié des livres sous la signature d’Elli Kronauer et Manuela Draeger Faut-il parler ici d'hétéronymes, à la manière de Pessoa, ou de masques de Volodine ? Bien évidemment la question peut être posée ainsi, mais c'est probablement une concession à une vision trop cartésienne, une chausse-trappe ouverte sous les pieds du critique.

Le monde d'Antoine Volodine ne relève pas seulement de l'Occident et de sa ratio (Lisbonne, dernière marge), il emprunte aux civilisations amérindiennes (Le Nom des singes), à l'Europe centrale (Nuit blanche en Balkhyrie) et surtout à l'Orient, qu'il soit sibérien (Des anges mineurs, Dondog) ou chinois (Le Port intérieur, Songes de Mevlido). S'inspirant des chamanes qui errent dans ses livres comme sur la terre entière, l'écrivain élabore un monde où ce qui relève de l'« identité » ou de la logique des contraires (vie et mort, veille et rêve, passé et futur, envers et endroit) se présente sous la forme d'une seule surface indifférenciée. Élaborant livre après livre un univers ainsi fait d'invisibles trous noirs, de ligatures secrètes, de paradoxes, Volodine signe une de ces œuvres que l'on dit totale. Il en offre en authentique artiste une ontologie, conduisant à la représentation d'un homme volodinien comme on l'a dit aussi de Beckett. C'est encore ici un gueux, le dernier des hommes, mais à la différence de Beckett qui le démontre more geometrico, Volodine le prouve autant par les fosses communes de l'histoire que par une laïcisation du bouddhisme tibétain. Il n'y a pas d'issue, pas de tragique, aucune résolution des contraires par la mort. L'homme ou du moins ce qui en fait pâle figure, l'Untermensch, est condamné dans la vie comme dans la mort qui le terrorise à une sempiternelle souffrance. Il erre à la recherche de Béatrice et Eurydice, soutenu par le seul humour du désespoir. Que dire alors des identités terrestres de Volodine, de ces mondes à n dimensions ? Qu'en regard de sa vision des choses le post-exotisme est un réalisme, et que Volodine est le premier de nos classiques. Car derrière[...]

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Antoine Volodine - crédits : Leonardo Cendamo/ Getty Images

Antoine Volodine

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