WATTEAU ANTOINE (1684-1721)
Lorsque naît Watteau, sa ville, Valenciennes, n'est française que depuis six ans. Il meurt deux ans seulement avant le Régent, un an avant le sacre de Louis XV. Il incarne néanmoins le prototype du peintre français, l'initiateur de l'art Louis XV. Sa peinture se définit par le titre joyeux de fête (galante) ; pourtant on se plaît à en souligner la mélancolie. Peintre de femmes en élégants manteaux de satin, il n'en représente pas moins les bergers et les villageois, comme les humbles Savoyards, et porte le même intérêt aux acteurs du drame classique qu'aux arlequins de la comédie italienne. Tels sont quelques-uns des paradoxes qui façonnent l'image de Watteau et dont il est malaisé, aujourd'hui encore, de se débarrasser, alors que tant d'écrits lui ont été voués, que l'on a rédigé des catalogues de ses peintures et de ses dessins, qu'on lui a consacré des expositions, que des colloques essayant de faire le tour de sa production et de son influence ou analysant sa technique ont été organisés. Au reste, on a parfois peine à travers cette immense production écrite, à faire la part de ce qui relève de l'artiste proprement dit et du mythe qui l'entoure pratiquement depuis sa mort à trente-sept ans, cet « âge fatal à la peinture », qui incita ses contemporains à le comparer à Raphaël. Si l'on ajoute que cette courte vie, cette carrière plus brève encore sont entourées de mystère, ou tout au moins émaillées d'interrogations, dont on a l'impression qu'ils ont été volontairement entretenus par Watteau lui-même, on se rend compte qu'il convient de privilégier les quelques éléments dont nous disposons pour mieux comprendre son œuvre.
Une vie mystérieuse
Une petite poignée d'éléments précis jalonnent la biographie de Watteau. Le reste ne s'appuie que sur les témoignages, parfois contradictoires, de ses contemporains, sans qu'il ait été possible de les valider par des documents d'archive. Il naît à Valenciennes le 10 octobre 1684 (encore qu'un chercheur ait récemment avancé l'hypothèse qu'il s'agirait d'un homonyme, le futur peintre pouvant en réalité être plus âgé de quelques années) ; son père, charpentier et maître couvreur, le met en apprentissage chez un peintre médiocre, Gérin, qui meurt en 1702. C'est à cette date, semble-t-il, que Watteau décide de tenter sa chance à Paris, où l'aurait emmené un décorateur, de passage à Valenciennes, appelé à l'Opéra.
Sans ressources à Paris, il commence par travailler pour un peintre nommé Métayer, puis échoue chez un marchand du pont Notre-Dame, qui l'emploie comme copiste, notamment de tableaux d'après Gérard Dou. Ce travail rebutant lui permet tout au moins de ne pas mourir de faim, et lui laisse un peu de temps pour dessiner tout ce qu'il voit. Et c'est sans doute vers 1704 qu'il rencontre celui qui devait changer, ou du moins avancer le cours de sa carrière, le peintre, dessinateur et graveur Claude Gillot (1673-1722), spécialisé dans les représentations du théâtre de foires. Une communauté de goûts et d'intérêts les réunit, et Gillot prend Watteau pour élève, et sans doute comme collaborateur. Ils traitent des sujets semblables, et l'élève ne tarde pas à dépasser son maître, qui semble en avoir conçu du ressentiment, sinon de la jalousie. Gillot envoie alors son élève chez le célèbre peintre d'ornements Claude III Audran (1658-1734), qui dirige le plus célèbre atelier de décoration de l'époque, travaillant pour les châteaux royaux et princiers, atelier situé au Luxembourg, dont Audran est le concierge (en d'autres termes, le conservateur des collections qui y sont rassemblées). Ce changement de maître, et de logis, doit se situer autour de 1708. Watteau apprend à peindre l'arabesque, à placer ses sujets sur des fonds blancs[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Marianne ROLAND MICHEL : docteure en histoire de l'art, directrice de la galerie Cailleux, Paris
Classification
Médias
Autres références
-
L'EMBARQUEMENT POUR L'ÎLE DE CYTHÈRE (A. Watteau)
- Écrit par Barthélémy JOBERT
- 214 mots
Watteau est reçu, en 1712, comme membre agréé à l'Académie royale de peinture et de sculpture, qui réunissait les principaux peintres, sculpteurs et graveurs parisiens. Comme c'était la règle, il devait fournir au plus vite un « morceau de réception » afin d'en être définitivement membre. Il fallut...
-
WATTEAU APRÈS WATTEAU - (repères chronologiques)
- Écrit par Barthélémy JOBERT
- 356 mots
1717 La réception de Watteau à l'Académie royale de peinture et de sculpture consacre son intégration à la communauté artistique parisienne.
1719-1720 Le séjour de Watteau en Angleterre est à l'origine de la connaissance de son œuvre outre-Manche, aussi bien par la peinture que par l'...
-
WATTEAU ET LA FÊTE GALANTE (exposition)
- Écrit par Barthélémy JOBERT
- 995 mots
Une mémorable rétrospective au Grand Palais, à Paris, avait célébré, en 1984, le bicentenaire de la naissance d'Antoine Watteau (1684-1721). Nul anniversaire, nulle commémoration ne justifiaient Watteau et la fête galante, organisée par le musée des Beaux-Arts de Valenciennes et qui, en...
-
ART (Aspects culturels) - L'objet culturel
- Écrit par Jean-Louis FERRIER
- 6 295 mots
- 6 médias
...d'exprimer cette réalité ; il existe de longues périodes de « vacance » dans l'histoire de l'art ; il n'y a ni automatisme, ni conformité. L'œuvre d'un Watteau, dont Groethuysen explique que les personnages virevoltants sont l'équivalent plastique de l'esprit de finesse, brillant, paradoxal, contourné,... -
GILLOT CLAUDE (1673-1722)
- Écrit par Georges BRUNEL
- 354 mots
Avoir été le maître d'un très grand artiste peut notablement desservir une réputation : tel est le cas de Claude Gillot que l'on ne connaît plus guère que pour son association avec Watteau. Gillot était né à Langres, dans une famille de peintres ; sa biographie est mal connue, et on ne sait pas à...
-
JULLIENNE JEAN DE (1686-1766)
- Écrit par Michel MELOT
- 329 mots
Grand mécène et protecteur de Watteau, dont il posséda plus de quatre cents dessins et jusqu'à quarante tableaux, Jean de Jullienne tenait sa fortune de l'industrie teinturière : Colbert avait appelé sa famille, des marchands hollandais, à Paris où il naquit. En 1721, il prit possession des ateliers...
-
LANCRET NICOLAS (1690-1743)
- Écrit par Marianne ROLAND MICHEL
- 866 mots
- 2 médias
Une formation traditionnelle — apprentissage de la gravure, enseignement de d'Ulin, professeur à l'Académie, puis fréquentation de l'école de l'Académie, où il se fait suspendre pour indiscipline — aurait dû amener Lancret à devenir peintre d'histoire. Mais il découvre l'art de Watteau, peut-être...
- Afficher les 9 références