WATTEAU ANTOINE (1684-1721)
Watteau et le dessin
On a vu que Watteau est avant tout décrit comme dessinateur impénitent ; tout lui est bon depuis ses débuts à Valenciennes, et les premiers dessins qu'on lui attribue s'attachent à rendre scènes de la rue ou figures populaires, rapidement mises en place : une estrade, un charlatan, des branchages vite esquissés, la silhouette d'un chien, tout est dit dans une sanguine preste qui ne cherche pas l'effet. Il continue, bien sûr, en arrivant à Paris, qui lui offre un plus grand choix de sujets. Puis c'est la rencontre de Gillot, les déambulations dans les foires et leurs théâtres, et l'accroissement du nombre des figures comiques, de leurs attitudes. À cette époque, et jusque vers 1708-1710, Watteau n'utilise guère que le crayon de sanguine, qui permet des ébauches rapides et pourtant lisibles, qui lui laisse également la possibilité d'en tirer des contre-épreuves, pratique dont il fait un grand usage, car il peut ainsi avoir ses figures « des deux côtés », et donc de pouvoir les employer dans un sens ou dans l'autre. En effet, s'il dessine pour le plaisir, privilégiant nettement ce moyen d'expression sur la peinture, il ne néglige pas pour autant l'aspect utilitaire du dessin, puisqu'il entasse dans des carnets ou des albums croquis et études poussées, souvent recto verso, plus souvent encore regroupées de façon fantaisiste sur une même feuille, sur laquelle on trouve mêlées des études de mains, de têtes, de draperie ou, au contraire, les études d'un même personnage vu de face, de dos et de profil, avec le dessin plus poussé de sa tête.
À partir de 1710, approximativement, Watteau mêle à la sanguine une pierre noire très grasse, plus rarement du graphite, qu'il rehausse, dans ses dessins les plus aboutis, de craie blanche ; ce sont les fameuses feuilles « aux trois crayons », dont la maîtrise n'a guère été égalée par la suite au xviiie siècle, même si elle a été à de nombreuses reprises imitée. Parfois Watteau ajoute de l'estompe, rarement un léger lavis, voire de l'aquarelle ; bref, « tout lui était bon excepté la plume ». Tout lui était également bon, on l'a vu, en matière de modèles et de thèmes. Comédiens, danseurs, musiciens, élégantes, gentilshommes, mais aussi, depuis le début, figures de la rue tenant un balai ou un seau, s'appuyant sur une canne ou portant un enfant, soldats faisant l'exercice ou se reposant, vivandières ou cuisiniers qui font partie de ces Escortes d'équipage, Savoyards, rémouleurs et montreurs de curiosité, Persans énigmatiques venus en ambassade en 1715... On a pu remarquer la précision du détail : les mains du violoniste, la bouche du flûtiste se posent comme il convient sur l'instrument dont le facteur peut parfois être identifié, il n'y a pas d'erreur dans la position des pieds du danseur, ni dans la façon dont le soldat tient son fusil ou sa giberne. Dans les très nombreuses représentations d'enfants, Watteau rend à la fois leur expression naïve, émerveillée ou boudeuse, aussi bien qu'une certaine gaucherie dans la façon de porter leur vêtement. Si dans ses célèbres têtes de nègres il rend le ton de la peau davantage au moyen de la sanguine que de la pierre noire, il utilise pour les autres visages ses crayons selon sa fantaisie du moment plus qu'en suivant une méthode prédéterminée, commençant parfois à dessiner les contours à la pierre noire, vite reprise de sanguine pour les chairs, ou bien débutant à la sanguine pour rajouter ensuite le crayon noir qui lui permet de suggérer les cheveux, les cils, les yeux, retouchant le tout d'une craie qui lui permet de faire vibrer les carnations. Mais Watteau dessine également les animaux, les plantes, les paysages, même si une grande partie d'entre eux ont disparu et ne nous sont connus qu'à travers leur [...]
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Écrit par
- Marianne ROLAND MICHEL : docteure en histoire de l'art, directrice de la galerie Cailleux, Paris
Classification
Médias
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