BRUCKNER ANTON (1824-1896)
Une œuvre sans cesse recommencée
Mais combien de symphonies Bruckner aura-t-il écrites au total ? L’ensemble constitue un véritable imbroglio du fait du nombre de versions réalisées par un compositeur scrupuleux, perfectionniste et aisément déstabilisé par des critiques, auxquelles il faut ajouter des interventions effectuées par des tiers, de son vivant ou à titre posthume. Certaines versions concernent des symphonies dans leur quasi-totalité, d’autres se limitent à des mouvements isolés. La totalité des sources authentiques a été rassemblée dans l’édition critique intégrale publiée à Vienne, en un premier temps par Robert Haas avant la guerre, puis par Leopold Nowak jusqu’en 1989, deux éditions qui offrent des divergences notables. Un catalogue thématique Werkverzeichnis Anton Bruckner a été réalisé par Renate Grasberger (éd. Hans Schneider, Berlin, 1977).
À quelques exceptions près, les symphonies de Bruckner obéissent à des schémas identiques. Excepté la 9e inachevée, elles comportent quatre mouvements, avec un premier mouvement allegro ou maestoso habituellement construit sur trois thèmes, un second mouvement andante ou adagio, un scherzo en troisième position, excepté dans les symphonies n° 8 et 9, où ces deux mouvements sont intervertis, et un finale d’amples dimensions, avec souvent des épisodes fugués. Un principe cyclique relie les différents mouvements par des cellules thématiques, souvent construites autour de l’intervalle de quinte. Bruckner possède un métier élaboré à l’extrême, tant par sa science de l’écriture polyphonique et du développement des thèmes, que par la vaste palette de son orchestration qui lui a donné à juste titre la réputation d’affectionner les grands effets de cuivres et, en général, la recherche du volume sonore. Son effectif instrumental est en effet imposant, surtout pour les cuivres (4 à 8 cors, 3 trompettes, 3 trombones, des tubas au nombre de 1 à 5 dans les dernières symphonies). Autant que la somme des moyens mis en œuvre, c’est son art des groupements, des doublures et des oppositions de blocs instrumentaux qui donne la sensation de spatialité, ainsi que son sens des contrastes entre l’intensité des éclats et la finesse des épisodes mélodieux subtilement harmonisés. Sa rhétorique fait aussi un usage abondant des silences expressifs. Les longueurs et les redondances qui lui sont souvent reprochées, notamment pour ses finales, proviennent de son besoin de dire les choses jusqu’aux extrêmes limites de l’exprimable, et s’inscrivent dans le prolongement des dernières œuvres de Schubert (la 9e symphonie, les dernières sonates). Les symphonies de Bruckner avoisinent souvent une durée d’une heure, certaines la dépassent même considérablement (la 5e et surtout la 8e), et restent les seules œuvres de musique pure à atteindre ces proportions, tout en ouvrant le champ aux symphonies vocales no 3 et 8 de Mahler, qui en élargiront encore les limites.
Même si certaines de ses symphonies ont des liens avec des idées ou des circonstances qui les ont inspirées (amour de la nature dans la 4e, échec amoureux dans la 6e), Bruckner écrit toujours de la « musique pure », dépourvue de programme détaillé comme de texte chanté. En cela il s’apparente à Brahms, dont il se différencie totalement par le style et l’orchestration. Globalement, il existe une parenté entre ses symphonies et ses œuvres liturgiques, les unes comme les autres étant écrites en hommage reconnaissant à la grandeur de l’Univers et au Créateur. Parallèlement, le musicien affirme ses origines ethniques et rurales par son attachement au folklore des bords du Danube, à travers ses rythmes de valses, le plus typique étant le scherzo de la Symphonie no 8.
Les incursions de Bruckner dans le domaine de la musique de chambre se sont limitées, hormis un quatuor datant de ses années de formation, à un vaste[...]
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Écrit par
- André LISCHKE : docteur en musicologie, maître de conférences à l'université d'Évry, retraité
Classification
Médias
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