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TCHEKHOV ANTON PAVLOVITCH (1860-1904)

Tchekhov - crédits : Bettmann/ Getty Images

Tchekhov

Tchekhov est le maître russe de la nouvelle brève. Si sa création est parfaitement originale, si c'est là le genre où il excelle, il n'en est pas moins un grand auteur de théâtre. À la différence d'un Mérimée ou d'un Maupassant, Tchekhov nouvelliste réussit dans une courte page à rendre perceptible la complexité, la richesse, le tragique d'une vie entière.

La tragique condition humaine, voilà le domaine où s'est exercée son infinie capacité de sentir et de comprendre. En tant qu'auteur dramatique, il a envoûté des générations de spectateurs par la vérité subtile qui se dégage des lents cheminements et des pauses de ses compositions dramatiques, fondamentalement musicales.

La vie ardente

Une si sombre enfance

Anton Pavlovitch Tchekhov [Čekhov] est né dans la petite ville de Taganrog, située sur la côte nord-est de la mer d'Azov. Son père, Pavel Egorovitch, était épicier. Fils de serf, pour ainsi dire analphabète, ses aptitudes commerciales étaient à peu près nulles et constamment tenues en échec par ses goûts artistiques et son fanatisme religieux. Tyran domestique, il voulait inculquer de force à ses enfants (cinq garçons et une fille) les principes rigides d'une morale aussi conventionnelle que rudimentaire. La vie à la maison était rude. Été comme hiver, on se levait à l'aube ; l'épicerie tant détestée ouvrait à 5 heures du matin et ne fermait que vers 11 heures du soir. C'est là que les deux aînés, Alexandre et Anton, passaient toutes les heures laissées libres par le lycée et l'église. Le père avait enrôlé dans le chœur qu'il dirigeait ses trois fils aînés. « Pendant que tous nos camarades se promenaient, nous devions courir les églises », écrira Tchekhov à Ivan Chtchéglov (le 9 mars 1892). Et il ajoutera : « J'ai peur de la religion : quand je passe devant une église, je me souviens de mon enfance et la terreur me saisit. » Mais si l'enfant souffre, le futur écrivain s'enrichit. La langue si particulière du clergé, cette pittoresque langue ecclésiastique émaillée de locutions slavones et d'argot de séminaire, nul écrivain russe, sauf N. S. Leskov, ne l'a possédée aussi parfaitement que Tchekhov.

À la boutique et à l'église s'ajoute le lycée. Anton y côtoie pour la première fois des intellectuels et aussi des enfants « qu'on ne fouette pas », mais le lycée n'eut que peu d'influence sur Tchekhov. Des maîtres sans génie ne réussirent à faire de lui qu'un élève médiocre. De ces maîtres, de cette ambiance, il fera plus tard la caricature dans L'Homme à l'étui (Čelovek v futljare, 1889).

À ces trois décors si sombres il faut joindre un quatrième, tout de douceur et de parfums champêtres. C'est le village de Kniajaia où Anton passe ses vacances auprès de son grand-père, régisseur de la comtesse Platov. Le voyage, à lui seul, est une aventure inoubliable. Soixante verstes de steppe parcourues dans des attelages tirés par des bœufs, voyage qui durait plusieurs jours à travers « un pays fantastique que j'aimais, où autrefois je me sentais chez moi, car j'en connaissais chaque recoin » (lettre à Plechtchéev, 1888).

Nuits passées sous le ciel profond de l'Ukraine, dans le foin odorant. Visages entrevus, atmosphère étrange et poétique, Tchekhov s'en souviendra plus tard. Pendant longtemps, il gardera jalousement ces souvenirs vivants, intensément vrais, et quand, enfin, il les utilisera dans La Steppe (Step', 1888), ils feront sensation.

Une telle enfance a singulièrement mûri Tchekhov. Il sut, malgré tout, sauvegarder en lui la gaieté, l'ironie, l'humour, la veine satirique, qui ne l'abandonnèrent jamais complètement, et qui, dans sa jeunesse, se manifestèrent en un véritable feu d'artifice de bons mots, d'inventions drolatiques, d'histoires cocasses.[...]

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Tchekhov - crédits : Bettmann/ Getty Images

Tchekhov

<em>Les Trois Sœurs </em>d'A. Tchekhov, mise en scène d'Alain Françon - crédits : Raphael Gaillarde/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Les Trois Sœurs d'A. Tchekhov, mise en scène d'Alain Françon

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