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ANTONELLO DE MESSINE (1430 env.-1479)

« Devotio moderna » et éloge de la personnalité

<it>Le Christ mort porté par un ange</it>, A. de Messine - crédits :  Bridgeman Images

Le Christ mort porté par un ange, A. de Messine

Une dizaine de représentations du Christ nous sont parvenues de la main d'Antonello ; dans sept panneaux, les dimensions réduites et la facture toujours plus vériste requièrent une contemplation rapprochée. Le Christ de douleur, couronné d'épines, pleurant et gémissant, la corde au cou et les mains liées dans le dos, image d'amertume et de déréliction, répond à la nouvelle forme de piété privée et intériorisée, vécue sur un mode douloureusement affectif, que traduisent les écrits mystiques de la Devotio moderna vers la fin du xive siècle et les images nordiques quelques décennies plus tard.

Ses trois Crucifixion, avec les fidèles dolents en premier plan et de profonds paysages, combinent émotion et description, méditation et narration. Dans deux de ses quatre versions de l'Annonciation, la Vierge est seule (vers 1473, Alte Pinakothek de Munich) et le spectateur face à elle prend la place de l'archange, invité à réciter l'Ave Maria, qui rappelle que la Vierge a permis l'Incarnation et la Rédemption de l'humanité.

La douzaine de portraits conservés frappent par son homogénéité : les modèles, tous masculins, tous anonymes, sont présentés en buste très court, tournés de trois-quarts vers la gauche, sur fond noir, la lumière les éclairant de face, et le regard recherchant avec insistance le contact avec le spectateur. La plupart sont vêtus à la mode vénitienne, toge rouge à plis cannelés, couvre-chef à pan tombant sur l'épaule (cappuccio et becchetto). La nouveauté qu'y introduit Antonello est l'expression, souriante, ironique ou hautaine, si frappante de vérité que la bouche et les yeux du Sicilien de Cefalù (Portrait d'un homme, vers 1460, Museo della Fondazione Mandralisca, Cefalù), sans doute jugé odieux, portent les stigmates de griffures profondes. Reprenant un thème inventé par Van Eyck et traité par Colantonio, Antonello peint saint Jérôme dans son studiolo (vers 1475, National Gallery de Londres), manifeste de tous ses talents dans sa savante complexité spatiale, lumineuse, descriptive, mais aussi seul éloge de la pensée sur la foi et portrait d'humaniste dans son œuvre.

<it>Portrait d'homme</it> dit <it>Le Condottiere</it>, A. de Messine - crédits : Peter Willi/  Bridgeman Images

Portrait d'homme dit Le Condottiere, A. de Messine

<it>Saint Jérôme dans son cabinet de travail</it>, A. de Messine - crédits :  Bridgeman Images

Saint Jérôme dans son cabinet de travail, A. de Messine

Dans ces diverses catégories de peinture, l'originalité d'Antonello est la même : il s'agit de capturer l'attention du spectateur, fasciné par sa virtuosité imitative, et par là, sa capacité émotionnelle, empathie dévote ou sympathie humaine. La peinture d'Antonello est plus intemporelle que celle de ses contemporains davantage préoccupés d'anatomie, de rigueur perspective et mathématique, de modèles antiques, de flatteries politiques, de sujets mythologiques ou d'allégories philosophiques. Sans protecteur princier, Antonello a mené une existence obscure, laborieuse et pauvre, mais il nous a légué de rares œuvres universelles dans leur simplicité : le rayonnement intérieur transparaissant sur le pur visage lumineux de la Vierge de l'Annonciation (vers 1474-1475, musée des Beaux-Arts, Palerme) semble l'« icône » suprême de son œuvre.

— Martine VASSELIN

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Écrit par

  • : ancienne élève de l'École normale supérieure de Sèvres, maître de conférences en histoire de l'art des Temps modernes à l'université de Provence

Classification

Médias

<it>Autoportrait</it>, A. de Messine - crédits :  Bridgeman Images

Autoportrait, A. de Messine

Crucifixion, A. de Messine - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Crucifixion, A. de Messine

<it>Le Christ mort porté par un ange</it>, A. de Messine - crédits :  Bridgeman Images

Le Christ mort porté par un ange, A. de Messine

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