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ARTAUD ANTONIN (1896-1948)

Sortir d'un monde faux

Après l'échec des Cenci, que lui pense être un « succès dans l'Absolu », Antonin Artaud décide de partir pour le Mexique. N'attendant plus rien de la culture occidentale, il veut « prendre contact avec la Terre rouge ». Le 7 février1936, il arrive au Mexique ; il y restera près de neuf mois. Certes, à Mexico, il entre en contact avec les intellectuels, les artistes ; il semble même vouloir se mettre en rapport avec les hommes dont la politique est le métier, avec les révolutionnaires de ce pays, comme s'il redoutait par-dessus tout que la révolution mexicaine ne lui manquât, ne déçût les espoirs qu'il fondait sur elle. Dans les conférences qu'il prononce, dans les articles qu'il écrit pour le quotidien El Nacional, il multiplie les avertissements aux Mexicains, dénonce les dangers que peut faire courir à leur culture l'apport européen, les invite à ne pas laisser leurs dieux, leurs dieux-forces, dormir dans les musées : « Ce que nous voulons dire, c'est que les dieux du Mexique n'ont jamais perdu le contact avec la force, car ils étaient et ils sont eux-mêmes des forces naturelles en activité. » On pourrait croire qu'il veut leur apprendre le Mexique. Il participe aussi à un congrès sur le théâtre des enfants (guignol, marionnettes).

Ce qu'il était venu chercher ne pouvait pourtant se trouver à Mexico. En août, il obtient enfin un crédit des Beaux-Arts et peut, avec un guide, se rendre à cheval chez les Tarahumaras. « Il s'agit de retrouver et ressusciter les vestiges de l'antique culture solaire. » Il s'agit d'autre chose aussi. Depuis son jeune âge, pour calmer ces effroyables douleurs qui lui sont presque une impossibilité à vivre, c'est-à-dire à inscrire sa pensée dans son corps, il doit, sur prescription médicale, prendre de l'opium. Or, s'il lui donne parfois l'impression d'atteindre un état quasi normal, l'opium crée l'accoutumance qui bien souvent l'a contraint à de pénibles désintoxications. Et les Tarahumaras cultivent le peyotl, il ne l'ignore pas, et c'est vers le peyotl qu'il va comme vers un désespérant espoir : « Je n'allais pas au peyotl en curieux, mais au contraire en désespéré qui veut enlever de soi encore un dernier lambeau d'espérance, détacher la dernière petite fibre rouge de l'espérance spirituelle de la chair... Je ne voulais pas en allant au peyotl entrer dans un monde neuf mais sortir d'un monde faux... J'allais donc vers le peyotl pour me laver. »

De retour à Mexico vers le 15 octobre, le 31, il sera rapatrié. De cette expérience unique « où, a écrit Philippe Sollers, se situe, semble-t-il, la phase capitale de sa lutte pour faire renaître un corps dans la pensée, pour vivre intégralement sa pensée et s'écrire en elle », il a tiré D'un voyage au pays des Tarahumaras qui paraîtra, sur son désir exprès, sans nom d'auteur, en août 1937 dans La Nouvelle Revue française.

Malgré une tentative sans lendemain pour s'insérer dans la société : un projet de mariage avec une jeune fille de la grande bourgeoisie belge qui ne résistera pas à une conférence qu'il fit à Bruxelles le 18 mai 1937 et qui avait pour sujet La Décomposition de Paris, Antonin Artaud, qui a dû encore se soumettre à plusieurs cures de désintoxication, pour qui toute activité de type social (fût-ce dans le domaine théâtral) paraît dérisoire, sans ressources, dresse ce constat impitoyable :

« Si l'on a fait de moi un bûcher, c'était pour me guérir d'être au monde.

Et le monde m'a tout enlevé. »

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Antonin Artaud dans <it>La Passion de Jeanne d'Arc</it> - crédits : Henry Guttmann/ Getty Images

Antonin Artaud dans La Passion de Jeanne d'Arc

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