ARTAUD ANTONIN (1896-1948)
La reconstitution du Mythe
Il va alors être l'acteur de l'aventure la plus extraordinaire peut-être de la pensée occidentale.
En 1937 paraît une petite brochure, Les Nouvelles Révélations de l'Être, à la teneur prophétique, qu'il a signée « le Révélé », et qui précède de peu son départ pour l'Irlande, en août. Il a en main une épée (qu'un nègre sorcier lui avait donnée à La Havane) et une canne. La canne est un objet magique ; elle a treize nœuds et « porte au neuvième nœud le signe magique de la foudre ». Par un ami, elle lui vient « d'un sorcier savoyard dont il est question dans la Prophétie de saint Patrick », patron des Irlandais : « Cette canne, dit la légende, serait la canne même de Lucifer qui se crut dieu, et ne fut que son vampire. Elle passa par les mains de Jésus-Christ, puis de saint Patrick. »
Il va vivre en Irlande les commencements de son destin. Il n'y serait allé, semble-t-il, que pour cela : « Mon destin est cruel pour un but encore plus cruel auquel je sais qu'il me prépare. Et je serai BIENTÔT préparé. »
Le 29 septembre, sur demande de la police irlandaise, il est embarqué contre son gré sur le Washington. Sur le bateau même a lieu l'incident qui fait qu'au débarquement, au Havre, la société va l'interner dans ses asiles. Il n'y a pas à se tromper sur le sens qu'il donna à cet internement qui devait durer neuf années. Quand il écrira Van Gogh, le suicidé de la société (Paris, 1947), sous ce titre il faut lire celui-ci : « Antonin Artaud, l'interné de la société. »
1938 fut l'année du silence, mais dès 1939, Antonin Artaud lance au monde ces appels qu'il ne peut ou ne veut entendre. Et c'est dans la solitude des asiles d'aliénés français que s'élabore une œuvre dont l'audace est stupéfiante, où s'allient humour, malice, insolite, bon sens, que naît une langue à la fois d'une force et d'une légèreté inégalées, que se forge l'instrument par lequel Antonin Artaud va tenter de recréer le monde, la durée, l'espace, le corps, la vie, la mort, le Mythe, et vaincre toute religion.
« Vivre, c'est éternellement se survivre en remâchant son moi d'excrément, sans nulle peur de son âme fécale, force affamante d'enterrement. Car toute humanité veut vivre, mais elle ne veut pas payer le prix et ce prix est le prix de la peur. Il y a pour être une peur à vaincre et cela consiste à emporter la peur, le coffre sexuel entier de la ténèbre de la peur, en soi, comme le corps intégral de l'âme, toute l'âme depuis l'infini, sans recours à aucun dieu derrière soi. Et sans rien oublier de soi. »
En février 1946 paraît Lettres de Rodez. En mai 1946, Antonin Artaud sort de l'asile de Rodez et revient à Paris. Il ne vit qu'en écrivant : Artaud le Mômo (Paris, 1947), Ci-gît précédé de La Culture indienne (Paris, 1947). Il achève la composition de Suppôts et suppliciations qui paraîtra seulement en 1978, trente ans après sa mort.
Le 13 janvier 1947, au théâtre du Vieux-Colombier, il s'expose, dans le sens le plus dangereux du terme, au public dans une conférence : « Tête-à-tête, par Antonin Artaud », qu'il ne pourra prononcer parce qu'il n'est pas de public capable de l'écouter.
En juillet 1947 a lieu à la galerie Pierre une exposition de ses dessins et portraits, ainsi qu'une lecture de ses derniers poèmes. En novembre 1947, une émission lui est commandée par le directeur des émissions littéraires de la Radiodiffusion française. C'est Pour en finir avec le jugement de dieu. L'émission est enregistrée et doit être diffusée le 2 février 1948. Au dernier moment, elle est interdite. Il a fallu attendre plus de vingt ans, et l'explosion de mai 1968, pour qu'elle passe enfin sur les ondes.[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Paule THÉVENIN : femme de lettres
Classification
Média
Autres références
-
L'OMBILIC DES LIMBES, Antonin Artaud - Fiche de lecture
- Écrit par Pierre VILAR
- 997 mots
- 1 média
Il faut se figurer, d'un siècle l'autre, ce que représenta la parution de L'Ombilic des limbes dans la prestigieuse collection Une œuvre, un portrait des éditions de La Nouvelle Revue française, accompagnée d'un portrait d'Antonin Artaud (1896-1948) par son ami peintre...
-
LE THÉÂTRE ET SON DOUBLE, Antonin Artaud - Fiche de lecture
- Écrit par Florence BRAUNSTEIN
- 998 mots
- 2 médias
Le 6 janvier 1936, Antonin Artaud (1896-1948) soumet à Jean Paulhan plusieurs textes (articles, conférences, lettres) destinés à composer un essai sur le théâtre. Au mois de décembre de la même année, il écrit à Gaston Gallimard pour défendre son travail « qui touche à des problèmes d'une extrême...
-
ACTEUR
- Écrit par Dominique PAQUET
- 6 815 mots
- 2 médias
Si, pour Antonin Artaud, l'acteur est un « athlète affectif », il doit nécessairement rompre avec les conventions qui faisaient encore les beaux jours d'un certain théâtre. Par le souffle, on entre dans le corps du personnage théâtral : « À chaque sentiment, à chaque mouvement de l'esprit, à chaque bondissement... -
CARASCO RAYMONDE (1939-2009)
- Écrit par Raphaël BASSAN
- 978 mots
Née en 1939 à Carcassonne, la cinéaste Raymonde Carasco entreprend, au milieu des années 1970, une recherche sur la pensée-cinéma, « concept » hérité d'Eisenstein et que l'on retrouve, entre autres, dans les écrits de Gilles Deleuze et les œuvres de Jean-Luc Godard. Le tronc...
-
CINÉMA (Aspects généraux) - Les théories du cinéma
- Écrit par Youssef ISHAGHPOUR
- 5 396 mots
- 2 médias
...toujours du sens que chacun donnera à ces trois termes, de l'identité, de l'exclusion et de la synthèse qu'on établira entre eux. Scénariste et acteur, Artaud (1896-1948) dira qu'il ne faut pas s'éloigner des apparences, mais chercher leur transsubstantiation, leur vie occulte, leur mystère. Car le cinéma... -
DRAME - Drame moderne
- Écrit par Jean-Pierre SARRAZAC
- 6 057 mots
- 7 médias
Pourra-t-on jamais écrire une poétique du drame moderne ? Une telle entreprise tiendrait, en vérité, de la gageure, tant le concept de drame paraît aujourd'hui flou et indéterminé au regard de celui de roman ou de poésie. Et d'abord faut-il donner à ce terme son extension maximale, celle qu'il prend...
- Afficher les 24 références