DVOŘÁK ANTONIN (1841-1904)
Une sève enivrante
Des œuvres classiques comme la Neuvième Symphonie, dite Symphonie du Nouveau Monde, les Danses slaves, le Concerto pour violoncelle en si mineur, les Rapsodies slaves ou Les Légendes ont une popularité méritée, mais il serait injuste d'oublier les Sérénades (op. 22 et 44), la Suite tchèque, les SeptièmeHuitième Symphonies, les cinq Poèmes symphoniques (op. 107 à 111) des dernières années ou les trois ouvertures Dans la nature, Carnaval, Othello, les cycles de mélodies (les Mélodies tziganes et les Chants bibliques), les grandes fresques chorales comme le Stabat Mater, le Requiem, le Te Deum, la Messe en ré majeur, Les Chemises de noces et Sainte Ludmilla.
Aucune des pièces écrites pour la scène par Dvořák n'a eu le retentissement de La Fiancée vendue de Smetana. Ce fut un des regrets de sa vie, mais Coquin de paysan, Le Diable et Catherine, Dimitri et, surtout, Rusalka et Le Jacobin sont inscrits au répertoire et connaissent un succès national. C'est dans le catalogue de musique de chambre, d'une richesse insoupçonnée, que la découverte offre le plus de surprises. Des œuvres en apparence mineures sont parcourues d'une sève enivrante, alors que d'autres, certains trios (op. 90, dit « Dumky »), quatuors (op. 34, 51, 80, 96, 105, 106) et quintettes (op. 81 et 97), doivent être sans hésitation classés parmi les purs chefs-d'œuvre du genre.
Que l'empreinte nationale, voire populaire, soit indiscutable n'explique pas entièrement cette faveur immédiate et durable. Dvořák ne fut pas un « intellectuel ». Malgré la maîtrise de son métier et la grande connaissance de l'histoire de la musique ancienne et contemporaine qu'il avait acquises par lui-même, il n'a jamais été accaparé par les problèmes d'esthétique, mais fut occasionnellement sensible aux expressions musicales nouvelles de Liszt et de Wagner. Bien qu'il semble se réclamer de la ligne de ses devanciers, notamment du romantisme classique de Brahms, qui fut son guide et son ami, Dvořák caractérise d'une manière très personnelle la particulière couleur harmonique et le lyrisme tchèques, souvent avec une slavité appuyée. S'il s'abreuva aux sources populaires, il ne démarqua pas directement le folklore mais sut découvrir ce qui constitue les traits fondamentaux d'un art national original dont la musique est restée un des meilleurs symboles, qu'il réussit à hausser au rang de patrimoine universel.
Aussi nationaliste que Smetana, il s'est efforcé, à sa manière, d'imposer au monde la musique de son pays, mais plutôt traditionaliste et classique, il ne lui ouvrit pas – comme le fit Bartók plus tard – la voie des formes nouvelles. Janáček et Martinů franchiront ce stade.
Il reste enfin, pour comprendre l'homme et sa musique, à évoquer sa piété profonde, qui se traduisit par un sentiment intense de la nature. C'est la constante de son inspiration et le fond réel de sa philosophie, une sorte de panthéisme qui engloba toutes choses, êtres et sentiments, comme parties intégrantes de la nature mère et omniprésente. Dvořák fut un homme de la terre.
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Écrit par
- Guy ERISMANN : écrivain et musicologue, secrétaire général adjoint de l'Académie Charles-Cros
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