GAUDÍ ANTONIO (1852-1926)
Une architecture-vérité
La Sagrada Familia est assurément la création la plus importante, la plus grandiose, la plus complexe aussi de Gaudí ; en effet, il travailla à sa construction pendant toute sa vie, il dut composer avec des plans préexistants, enfin il voulut imposer à cet édifice sa marque personnelle ; cette église est ainsi une sorte de résumé de son œuvre et des problèmes qu'il eut à résoudre, à tel point que N. Pevsner lit sur la façade principale l'évolution de tout son art. En 1884, Gaudí hérite d'un plan gothique et d'un chantier bien avancé. Parce que cet héritage correspond à ses préoccupations, surtout à celle d'améliorer les structures gothiques, en même temps qu'il excite sa curiosité d'architecte, il lui pose un certain nombre de problèmes, en particulier celui de la voûte d'une grande nef. Traditionnellement, les poussées d'une telle voûte dont la résultante est oblique étaient reprises par des arcs-boutants que Gaudí entreprend d'éliminer à cause des inconvénients qu'ils présentent : c'est ainsi que la coupe de la voûte et des piliers destinés à la recevoir sera une courbe funiculaire. En effet, Gaudí sait que cette courbe, obtenue en chargeant régulièrement de poids une corde attachée à ses deux extrémités, est celle qui supporte le mieux ces différentes tractions ; renversée, elle est celle qui résiste le plus parfaitement aux poussées des poids qui faisaient précédemment travailler la corde en traction. Gaudí entreprend la construction de très nombreuses maquettes de structures, sous forme de funiculaires, telles les maquettes de l'église de Santa Coloma de Cervello (1898-1914). Cette volonté « scientifique », à défaut d'une véritable démarche scientifique, fut mise en lumière par Le Corbusier. Certes, celui-ci fait ressortir cet aspect parce qu'il correspond à ses propres préoccupations, mais cette compréhension, même partielle, de l'œuvre de Gaudí permet de marquer toute la distance qui sépare l'architecte catalan de l'Art nouveau.
Les résultats, bien qu'éloignés de toute généralisation, car ils restent dans les limites de l'empirisme, sont remarquables pour leur adéquation aux problèmes posés et formellement très intéressants. C'est une conception moderne de l'architecture, une sorte d'architecture-vérité, où la structure est l'exacte traduction des effets imposés par la construction. L'église de Santa Coloma, dont seule la crypte fut construite, en est l'exemple le plus parfait ; en un certain sens banc d'essai de la Sagrada Familia, elle est, pourrait-on dire, pure structure ; il n'y a aucune ornementation, chacune des charges est calculée, son report assuré en d'autres points de l'espace ; arcs, arcs-boutants, voûtes sont tour à tour utilisés à cette fin ; les matériaux changent selon leur fonction, leur possibilité de mise en œuvre. C'est une architecture dynamique dont chaque élément est nécessaire à l'ensemble. Curieusement, ces constructions où tout n'est qu'équilibre donnent une impression d'instabilité : piliers obliques, arcs qui n'ont pas la symétrie rassurante du plein cintre, voûtes aux surfaces nées de la nécessité de répondre à des poussées complexes. Cette impression d'instabilité est d'ailleurs formellement accentuée par l'éclatement de la pierre inférieure d'une colonne, par un chapiteau posé de guingois. On retrouve cet expressionnisme dans les colonnes du parc Güell.
Ainsi, l'exécution du projet initial de Gaudí, l'amélioration du système structural gothique, l'éloigne de ce système et le conduit à un autre projet : une architecture qu'il qualifie de « naturaliste ». En utilisant les matériaux à la limite de ce qui était alors possible, il propose des solutions[...]
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Écrit par
- Pierre GRANVEAUD : architecte D.P.L.G., urbaniste de l'État, professeur d'architecture à l'université de Paris-Tolbiac
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