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GRAMSCI ANTONIO (1891-1937)

Du « Prince moderne » à la « Réforme intellectuelle et morale »

Gramsci restera incarcéré à Turi jusqu'en 1932. La dégradation de son état de santé entraîne son transfert à Civitavecchia, puis à Formia, après l'échec d'un échange de prisonniers avec l'U.R.S.S. Totalement usé, il est conduit, sous le régime de la liberté conditionnelle, à une clinique de Rome en juin 1935. Sa libération est prévue pour 1937 : n'ayant plus aucun contact politique depuis plusieurs années – seule sa belle-sœur Tatiana lui sera restée fidèle, comme en témoignent les très belles Lettres de prison –, Gramsci songeait à retourner en Sardaigne. Quatre jours après la fin de sa peine, il est frappé par une hémorragie cérébrale. Il meurt le 27 avril 1937.

En janvier 1929, Gramsci avait obtenu la permission d'écrire dans sa cellule. Il pourra recevoir de nombreux livres et revues de l'extérieur, qui lui fourniront la documentation nécessaire à la rédaction des Cahiers de prison. Le 8 février, il commence la rédaction du premier cahier. Trente-deux cahiers seront ainsi écrits, soit 2 848 pages. Les conditions dans lesquelles Gramsci travaillait ne firent qu'accentuer le caractère fragmentaire des Quaderni. Il s'agit, en effet, d'une série de notes, matériau brut ou réflexions approfondies, sur lesquelles il revenait constamment. Les thèmes centraux des Quaderni apparaissent cependant très nettement. À partir de la perspective qui a été formulée par Gramsci dans son essai sur la « question méridionale » et qui posait le problème de l'alliance ouvriers-paysans, celui du rôle des intellectuels laïcs et religieux, et celui du poids de l'histoire de l'Italie (Risorgimento), les Cahiers s'orientent dans trois directions essentielles.

D'une part, ils contiennent une réflexion historique sur la société italienne. Gramsci analyse les conditions de l'unité comme caractérisant une « révolution passive » qui maintient le peuple hors du politique. Cette révolution passive, qui traduit le refus des classes dirigeantes d'agir en classe nationale, s'insère dans une tradition qui, depuis la Renaissance, perpétue la mise à l'écart de l'Italie par rapport aux grands mouvements « nationaux-populaires » européens (réformes religieuses, révolutions libérales). Les Quaderni s'attachent à l'étude des facteurs explicatifs de cette situation : le poids énorme de l'Église et du Vatican, qui sont à la recherche permanente d'une solution théocratique (jusque dans le rapprochement avec le fascisme et les accords du Latran) et qui contrôlent les masses paysannes ; la faiblesse de la bourgeoisie ; l'attitude aristocratique des intellectuels (à l'exemple de Benedetto Croce).

D'autre part, les Quaderni comportent une réflexion sur le marxisme comme « conception du monde », propre à la classe ouvrière. Reprenant l'intuition de ses premiers écrits, Gramsci définit le marxisme comme la « philosophie de la praxis », comme une conception du monde intégrale et autonome se traduisant en des normes de conduite pratique et créant une nouvelle histoire. À travers un retour à Labriola et une double polémique contre l'idéalisme traditionnel (Croce) et le vieux matérialisme mécaniste, dont Gramsci condamne la résurgence jusque dans la IIIe Internationale (chez Boukharine), la fonction du marxisme est envisagée sous l'angle des rapports entre les intellectuels et les masses, la « philosophie » et le « sens commun ». L'exemple négatif de la religion permet de s'interroger sur la nécessité de maintenir une unité non artificielle de la « philosophie de la praxis », de lutter contre sa double dégénérescence.

Le marxisme, dans une vision historiciste, est présenté comme la « réforme intellectuelle et morale »[...]

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Écrit par

  • : professeur de science politique à l'université de Paris-X-Nanterre

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