PIZZUTO ANTONIO (1893-1976)
En bon Sicilien, le jeune Antonino Pizzuto, né en 1893, fut élevé dans l'amour de la poésie lyrique discrètement nostalgique et dans le culte des humanités classiques. Des revers de fortune, peut-être dus à une mauvaise gestion paternelle (comme ce fut le cas pour Svevo, Pirandello et Gadda, son parfait contemporain), l'amenèrent à choisir un métier. Il entra dans l'Administration centrale où il finit sa carrière avec le rang de préfet de police.
Pizzuto commença à écrire très tôt. Ce fut d'abord pour tenter de rendre avec exactitude l'admiration passionnée qu'il ressentait pour la langue platonicienne. Puis, tout simplement, pour fixer sur le papier des souvenirs particulièrement émouvants, liés à des événements déterminants dans son destin personnel. Enfin pour tourner en dérision Mussolini, sur les petits secrets duquel ses hautes fonctions au ministère de l'Intérieur lui permettaient d'avoir quelques lumières. Il ne songeait pas à publier mais continuait à lire dans le texte Hérodote, Kant, Joyce et Proust. Enfin, au début des années cinquante, il fit valoir ses droits à la retraite. Ainsi vit le jour Signorina Rosina en 1956 (et en 1965 chez Gallimard, sous le même titre). Puis, en 1960, Si riparano bambole (On répare les poupées, 1964). La composition de ses premiers livres, encore sage mais non conventionnelle, la relation du narrateur aux personnages, le ton plein d'humour malicieux sans nulle trace d'agressivité, le style à la fois très sûr et déjà travaillé par l'ellipse, l'extrême richesse d'un vocabulaire aux nombreux hapax énigmatiques mais jamais précieux, la complexité d'images à l'archéologie culturelle fort savante commencèrent à étonner, puis à intriguer pour finalement enthousiasmer ou irriter lorsqu'il publia Ravenna en 1962 et Paginette en 1964. Il fut alors salué par les critiques les plus réputés (Gianfranco Contini en tête) comme le seul auteur d'avant-garde en Italie dont l'œuvre ne parût ni artificielle ni accidentelle.
Pizzuto ne s'émut pas de l'isolement auquel il semblait condamné par le caractère extrême de sa recherche poétique. Ayant abdiqué tout souci du référent fictionnel, il écrivit alors des textes courts et extrêmement denses, dans une parataxe aux formes verbales raréfiées, dont la fonction était de manifester des phénomènes de la réalité la plus modeste à travers des combinaisons langagières très rigoureuses, sur un fil mélodique réglé d'après les canons de l'antique prosodie. Ses livres ne furent plus composés de chapitres mais de laisses, en hommage à la poésie médiévale. Distinguant l'exercice du récit (raccontare) de l'art narratif (narrare), il en vint à bannir de sa langue tous les éléments qu'il jugeait trop utilitaires et pauvrement informatifs. Après Sinfonia (1966) et Testamento (1969), il décanta encore la réalité des laisses pour aboutir aux pagelle dans Pagelle I (1973), Pagelle II (1975) et Ultime e Penultime (1978). Les textes de cette ultime trilogie témoignent de la troublante exigence que manifesta l'écrivain dans son désir de forger une langue inouïe à l'intérieur de la koinê italienne. Sans autres exemples dans la tradition nationale, comparables mutatis mutandis aux stades ultimes auxquels parvinrent Mallarmé et Joyce à la fin de leur propre quête, ces derniers écrits peuvent être lus comme de purs joyaux polysémiques ou comme les traces médusantes d'un au-delà de la communication expressive.
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Écrit par
- Denis FERRARIS : maître de conférences à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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