SAURA ANTONIO (1930-1998)
Le peintre Antonio Saura, frère du cinéaste Carlos Saura, est mort le 22 juillet 1998 à Cuenca. Annonçant la disparition du « peintre du noir » sur toute sa première page, El País parlait de lui comme d'« un des artistes espagnols les plus importants de ce siècle et [d']un nom essentiel de l'avant-garde. » La singularité de son art et la place originale qui allait être la sienne n'avaient pas échappé au jugement des bons observateurs. À Paris, Michel Tapié, théoricien de l'« art autre », fait entrer dès 1956 le jeune peintre à la galerie Stadler, tout de suite après son aîné Antoni Tàpies. En 1961, Miró l'introduit à la galerie Pierre-Matisse de New York.
Depuis lors, les œuvres de Saura figurent dans les plus grands musées du monde. Néanmoins, il y a encore trente ans, le critique espagnol José Ayllon, son ami, pouvait écrire : « J'ai fréquemment observé que devant l'œuvre d'Antonio Saura le spectateur moyen avait des réactions violentes : malaise, horreur, irritation, agressivité. En effet, cet œuvre exclut l'indifférence. Elle réduit à rien les suggestions de la couleur et de la matière, le lyrisme et la beauté [...] dans les termes de ceux qui cherchent dans la peinture la subtilité de la vision, l'assoupissement de l'intelligence et un ordre idéal. »
Saura appartient à un pays, à un moment de l'histoire nationale et à une tradition artistique qui le conduiront, comme Tàpies, à réfléchir sur les fins et les moyens de sa pratique de l'art. Un art qui sera offensif, agressif, comme Picasso en donnait l'exemple. Saura, l'Aragonais, avouait une « claire parenté » avec le Malaguène : il a peint plusieurs versions du Portrait de Dora Maar de Picasso. Mais, dans un entretien, il indiquait aussi des différences profondes : « Picasso déforme, détruit à partir d'une connaissance réelle des corps. Moi, je pars de fantasmes structuraux pour concrétiser une série de gestes, d'actions sur une surface à deux dimensions. La solitude du peintre, pour moi, consiste à remplir une toile blanche. Elle recueillera ce qui nous est le plus proche. Mais alors commence une double lutte : contre le blanc et contre les images qui surgissent peu à peu sans plan préconçu. »
Dès sa jeunesse, il se sent proche de l'esprit de Miró et de son monde de signes. Dans les années 1948-1950, il intitule une suite d'œuvres Constellations, le titre même que Miró avait donné à une série de gouaches en face desquelles André Breton allait écrire ses « proses parallèles ». De 1953 à 1956, Saura fait un premier séjour à Paris. Il fréquente les surréalistes. Breton le décrit comme « peintre des présages ». En 1953, une exposition réunit à Madrid, à l'enseigne des mots Arte fantastico, des œuvres de Miró, Calder, Picasso, Tàpies, Ponç, Saura... En 1957, ayant pris ses distances avec le surréalisme parisien, il conçoit un nouveau mouvement, El Paso, un « expressionnisme abstrait », prenant en compte la réalité vécue par les artistes de sa génération, Millares, Feito Canogar, Viola...
Antonio Saura est né le 22 septembre 1930 à Huesca. Il connut dans son adolescence deux épreuves : la maladie, qui le tint allongé des années durant, et la guerre civile. Celle-ci imprime des images dans sa mémoire et marque sa sensibilité, d'où par exemple, cet homme décapité faisant encore quelques pas. Image forte chez ce « peintre de têtes », selon l'expression de Julián Ríos, à qui Saura devait dire : « Le plaisir du monstrueux est indubitable, c'est le moteur fondamental de mon travail. »
Avec une constance qui a parfois étonné un public conditionné à regarder une œuvre de peinture suivant des « périodes » distinctes, Saura s'est tenu à quatre thèmes : les Dames, les Crucifixions, les Portraits imaginaires[...]
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Écrit par
- Georges RAILLARD : professeur émérite à l'université de Paris-VIII
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