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VIEIRA ANTÓNIO (1608-1697)

Les combats et les inspirations

La correspondance de Vieira (plus de sept cents lettres adressées à plus de soixante correspondants), ses rapports et avis aux rois et aux corps constitués montrent à quel point la politique, inséparable de son utopie messianique, a empli ses pensées et motivé son action. Ardent patriote, il a l'envergure d'un homme d'État. Défenseur acharné de la frêle indépendance retrouvée par le Portugal en 1640, il lutte contre la Castille en Europe et contre la Hollande au Brésil et en Afrique. Il combat aussi avec audace l'Inquisition portugaise dont le zèle excessif et intéressé provoque la fuite des nouveaux chrétiens et de leurs capitaux. Vieira prend de grands risques en faveur des nouveaux chrétiens. Il achète des vaisseaux, organise des compagnies de commerce, propose des mariages, ose suggérer des abandons. Il a des plans pour tout, mais la hardiesse de ses vues se heurte aux voies traditionnelles d'un conservatisme étroit et efficace. Les successeurs de Jean IV, même Pierre II, qui l'a protégé, lui font comprendre que la cour peut très bien se passer de ses avis. On oublie les services passés pour ne plus voir que le gêneur.

Vieira a appris les dialectes indiens, il a rédigé des catéchismes en sept langues différentes. Les conversions qu'il a suscitées sont célèbres. Il a œuvré surtout presque toute sa vie en faveur des Indiens, et il a payé de sa personne, affrontant la colère des gouverneurs, de certains ordres religieux et des colons. Il dénonce les abus intolérables et veut transformer les Indiens en ouvriers agricoles libres qui travailleront pour eux-mêmes une moitié de l'année, de deux mois en deux mois, et l'autre moitié pour un maître qui leur versera un salaire convenu à l'avance. Les expéditions vers l'intérieur (dans le sertão) seront étroitement réglementées et surveillées par des religieux responsables. Vieira a protégé également les Noirs, mais il s'est résigné à leur esclavage devant les impératifs économiques et dans la parfaite conscience de l'inutilité de tout effort en vue d'une émancipation. Est-il besoin de dire que les résultats obtenus n'ont pas correspondu à la grandeur des efforts fournis ?

Vieira est l'héritier d'une tradition qu'il systématise. Le Portugal est le peuple élu de la loi de grâce, il a succédé à Israël lorsque celui-ci a démérité. Dieu a fait de ce petit pays le messager de sa parole à travers le monde. La volonté divine a permis qu'une aussi faible nation entreprenne de si grandes conquêtes. Jean IV – ou l'un de ses successeurs – régnera sur le cinquième empire du monde, qui doit durer mille ans avant la venue de l'Antéchrist, l'ultime combat et le Jugement dernier. Dans cette lutte, juifs et nouveaux chrétiens auront une place de choix. Son Histoire du futur (1647-1664), inachevée, est écrite en portugais et s'adresse à ceux qui ont la charge des destinées du Portugal. Elle doit éclairer leur pensée et guider leur action. La Clavis prophetarum, savant traité rédigé en latin, qui devait convaincre Rome et les théologiens, est restée également inachevée. Rome s'y est intéressé, mais trop tard. Vieira a emporté sa grande chimère dans la tombe après avoir promis successivement l'empire du monde à cinq princes portugais.

— Raymond CANTEL

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Écrit par

  • : doyen de la faculté des lettres et sciences humaines de Poitiers

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