APANAGE
Le terme « apanage » (du latin médiéval apanare, donner pour le pain, donner de quoi vivre) et la réalité juridique qu'il définit proviennent du droit privé médiéval. Il désignait à l'origine, dans certaines régions où le droit d'aînesse excluait de la partie essentielle de l'héritage les fils puînés et les filles, les biens donnés à ceux-ci en compensation et, le plus souvent, en échange de la renonciation à la succession paternelle. Cette coutume, liée au droit féodal, a posé des problèmes juridiques et politiques quand elle s'est étendue au droit public – la distinction entre droit privé et droit public n'étant d'ailleurs pas claire dans le droit féodal ancien, surtout dans les pays de droit coutumier.
L'apanage a essentiellement désigné, à partir de la fin du xiiie siècle, le fief concédé dans certaines conditions particulières aux enfants, et surtout aux fils puînés du roi de France.
On rencontre cependant l'apanage dans certaines principautés seigneuriales qui relèvent de la couronne de France, telles que la Flandre ou – comme le spécifie une charte de 1265 du comte Renaud de Forez – le Beaujolais, et, sous une forme essentiellement symbolique, dans certaines monarchies européennes modernes, voire contemporaines, comme l'Angleterre où l'on appelle apanages de la Couronne le duché de Cornouailles, attribué au prince de Galles, et le duché de Lancastre.
Les apanages ont joué un grand rôle dans l'histoire de France du xiiie au xvie siècle, car ils ont paru mettre en danger la puissance de la monarchie et l'unité du royaume. Leur développement est lié à des phénomènes politiques et juridiques fondamentaux qui ont posé des problèmes complexes aux légistes et gouvernants de la France médiévale, et posent encore de délicats problèmes d'interprétation aux juristes et historiens modernes : droit de succession au trône, inaliénabilité du royaume, nature du fief et de la puissance politique, originalité de la famille royale. Ils mettent en cause la politique de la monarchie française et la conception qu'elle avait de sa nature et de sa fonction.
Naissance des apanages (XIe-XIIIe siècle)
Pendant le xie et le xiie siècle, le problème de la dotation des enfants puînés du roi ne reçut pas de solution institutionnelle. La succession au trône évoluait de façon empirique : jusqu'à Philippe Auguste (associé au trône par son père Louis VII quelques mois avant sa mort en 1180), les rois faisaient couronner leur successeur. Le droit d' aînesse, qui s'établissait fermement dans la féodalité de la France du Nord, facilita le choix des souverains, qui se porta sur leur fils aîné. Ce choix fut rendu plus aisé par le fait que Hugues Capet n'eut qu'un fils légitime, Robert le Pieux. Celui-ci, après la mort de son fils aîné, Hugues, fit accepter – contre le désir de sa femme Constance qui favorisait leur troisième fils, Robert – le cadet, Henri. Par la suite, le principe de primogéniture, renforcé par l'association au trône, ne rencontra pas de résistance notable. L'exiguïté du domaine royal empêcha sans doute que le principe du partage entre fils, qui était de règle sous les dynasties germaniques des Mérovingiens et des Carolingiens, ne l'emportât sur la pratique de mieux en mieux établie du droit d'aînesse. Des hasards heureux permirent aussi d'assurer le rang des fils puînés ; Robert, frère de Henri Ier, reçut le duché de Bourgogne en conclusion d'une révolte contre le roi (1034), et Hugues, frère de Philippe Ier, le comté de Vermandois par mariage. Pour d'autres, l'illégitimité de leur naissance, la punition d'une révolte ou l'entrée dans les ordres permirent de les exclure sans difficultés majeures de la succession.
Louis VI (1108-1137) eut, après son fils aîné,[...]
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Écrit par
- Jacques LE GOFF : directeur d'études à l'École pratique des hautes études
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