APANAGE
L'âge d'or des apanages (XIIIe-XVIe siècle)
Deux tendances contraires allaient pendant trois siècles jouer pour ou contre le développement des apanages. D'un côté, la plupart des rois étaient désireux de doter leurs fils puînés ou leurs frères, aussi bien pour tenter de désarmer leurs éventuelles révoltes que pour soutenir l'éclat du trône. Celui-ci paraissait de plus en plus lié au prestige de la famille royale tout entière, au groupe de ceux qui s'appelaient eux-mêmes, dès le xiiie siècle, « fils de roi de France », qu'on nomma, au xive siècle, « princes des fleurs de lys » ou, selon les termes de Charles V, « princes de notre sang », et, enfin, « princes du sang ». De l'autre, les conseillers du roi – de plus en plus conscients de la transcendance de la Couronne et de l'État – poussaient au renforcement des principes et des pratiques qui restreignaient les pouvoirs des apanagistes. Ils utilisèrent surtout les moyens suivants :
– la limitation de la succession des apanagistes aux hoirs directs, entraînant le retour des apanages à la Couronne, en cas d'extinction de la ligne directe (édictée pour la première fois par Louis VIII en 1224, à l'égard de son demi-frère Philippe Hurepel, et érigée en principe par un arrêt du Parlement de 1284, parlant de « retour au roi », puis par des lettres patentes datées du jour de la mort de Philippe IV le Bel, le 29 novembre 1314, et dues sans doute à son conseiller Enguerrand de Marigny, précisant « retour à la Couronne ») ;
– l'exclusion des femmes de la succession des apanages (pour la première fois énoncée par ces lettres de 1314, quatorze ans avant la décision des notables d'écarter du trône de France le roi d'Angleterre, descendant de Philippe le Bel par sa mère) ;
– l'exclusivité pour le roi d'exercer les droits régaliens dans les apanages (régale, garde des églises, frappe et justice des monnaies, crimes de lèse-majesté, droits de grâce, d'anoblissement, de légitimation, d'amortissement, ouverture des foires et marchés, propriétés des richesses du sous-sol et des futaies, etc.) ;
– la multiplication, aux xive et xve siècles, des « cas royaux » découlant de ces droits et jugés par des baillis installés dans le domaine royal à proximité immédiate des frontières des apanages (ainsi, en 1361, à Saint-Pierre-le-Moûtier, enclave royale dans le comté de Nevers, pour le jugement des cas royaux dans les apanages de Berry et d'Auvergne) ;
– l'application aux apanages des principes de l'inaliénabilité du domaine royal et de l'indivisibilité du royaume (bien définis en 1366 par un conseil réuni par Charles V pour examiner les problèmes de l'apanage du Berry).
La limitation du pouvoir des apanagistes fut favorisée aussi bien par l'évolution administrative et politique (progrès de la centralisation monarchique et de l'administration) que par l'évolution économique et sociale. Ainsi, les progrès de l'économie monétaire permirent des tentatives pour assurer la subsistance des apanagistes, non en terres, mais en revenus, en « fiefs-rentes » ou « fiefs de bourse ». Mais les apanages des fils et frères du roi, quoique souvent évalués en revenus (ce fut le cas sous Saint Louis, pour Alphonse de Poitiers en 1241, et pour Charles d'Anjou en 1247), furent toujours établis sur terres, encore que le second fils de Philippe le Bel, Philippe, n'eût jamais ni le gouvernement ni la gestion de son apanage du Poitou, pour lequel il se contenta de recevoir du Trésor royal les 20 000 livres annuelles que l'apanage était estimé rapporter. Au contraire, le principe et la pratique, inaugurés par Louis VIII en 1225 pour sa fille Elisabeth, d'« apaner en deniers » les princesses royales prévalut rapidement.
Toutefois,[...]
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Écrit par
- Jacques LE GOFF : directeur d'études à l'École pratique des hautes études
Classification
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