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APARTHEID

La séparation verticale des races

Au principe d'intégration qui caractérise l'État-nation, l'Afrique du Sud des années 1950 substitue le principe d'exclusion, assorti de sanctions pénales applicables aux individus, y compris aux Blancs, qui y dérogent. Une séparation verticale entre les quatre grands groupes ethniques officiels va s'instaurer progressivement, mais systématiquement, dans tous les domaines. La politique du Parti national est bien, alors, d'ériger en un véritable système de « séparation » ce qui n'était jusqu'ici en Afrique du Sud, si l'on ose dire, que simple discrimination raciale (colour bar) plus ou moins étendue et rationalisée. Tout un réseau législatif et réglementaire se met en place, pour l'essentiel dans la décennie 1950-1960. On ne peut ici que faire allusion aux principaux textes. Il y a eu plus de quatre-vingts lois importantes adoptées en la matière entre 1950 et 1964, dont la législation instaurant la ségrégation résidentielle qui est à la base de cette séparation verticale des races. Régulièrement modifiés dans le sens de la rigueur, notamment à l'époque du Premier ministre Verwoerd (1958-1966) qui fut non pas le véritable initiateur mais le grand architecte de l'apartheid, ces textes ont été l'armature juridique d'un régime qui visait au cloisonnement le plus étanche et qui, avec le temps, espérait bien réussir ce pari. Le début du démantèlement amorcé à partir de l'année 1980 en atteste, au contraire, l'échec.

Mais, durant trente années (1950-1980), cette politique de « développement séparé » des races s'est maintenue et même approfondie dans tous les secteurs de la vie politique, économique et sociale. En réalité, avant d'être « développement », l'apartheid est d'abord et surtout « séparation », une séparation imposée par une minorité blanche et avant tout dans son propre intérêt ainsi que le proclame le principe de l'Afrikanerdom : si la communauté blanche (afrikaner) veut survivre, il faut qu'elle retienne pour elle seule le pouvoir de commandement.

Pour donner une idée du cloisonnement des communautés, il suffit d'évoquer les principaux domaines où a sévi une séparation rigoureuse. Dans le domaine politique, les non-Blancs sont exclus de toute participation aux affaires nationales et locales. En 1936 et en 1956, Africains et Métis du Cap ont perdu le droit de suffrage que leur avait reconnu la Constitution de 1909, et le Promotion of Bantu Self-Government Act de 1959 a effacé toute trace de participation même indirecte. Chaque communauté vit pour et sur elle-même : elle a, ou peut avoir, ses propres organisations politiques et professionnelles ; au niveau local existent des institutions où le droit de suffrage s'exerce selon des modalités variées ; sur le plan national, des conseils consultatifs, installés en 1961-1963, sont placés auprès des ministères blancs responsables. Ces organismes – qui sont théoriquement représentatifs de chaque communauté – sont considérés comme l'amorce de futurs parlements métis, indien, voire africain, dont la compétence serait strictement limitée aux affaires du groupe intéressé. Mais tout cela n'existe encore qu'à l'état d'ébauche.

Sur le plan sociologique, c'est surtout dans le domaine des rapports individuels et de la vie sociale que la ségrégation prend toute sa signification. À l'interdiction des mariages mixtes entre Blancs et non-Blancs (1949), corroborée en 1967 par l'invalidité de ces mariages contractés à l'étranger, s'est ajoutée l'interdiction rigoureusement sanctionnée des rapports hors mariage (Immorality Amendment Act, 1950). La crainte de la pollution de la race blanche est ici évidente : d'une part les mariages mixtes, entre Blancs et Bantous surtout, ont toujours été très rares en Afrique[...]

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Écrit par

  • : professeur agrégé à l'université d'Aix-Marseille-III, ancien doyen de la faculté de droit et des sciences économiques de l'université de Madagascar
  • : professeur agrégé, enseignant à Sciences Po Bordeaux, spécialiste de l'Afrique du sud, rattaché au laboratoire Les Afriques dans le monde (LAM)

Classification

Médias

1945 à 1962. La décolonisation - crédits : Encyclopædia Universalis France

1945 à 1962. La décolonisation

Passeport obligatoire - crédits : Central Press/ Hulton Archive/ Getty Images

Passeport obligatoire

Steve Biko, 1977 - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

Steve Biko, 1977

Autres références

  • FIN DE L'APARTHEID EN AFRIQUE DU SUD

    • Écrit par
    • 219 mots
    • 1 média

    En février 1991, le président sud-africain Frederik De Klerk annonce son intention de mettre un terme au régime d'apartheid (le terme signifie « séparation » en afrikaans) qui, depuis 1948, fait de la ségrégation raciale la clé de voûte de la vie politique, sociale et économique de son pays....

  • ABRAHAMS PETER (1919-2017)

    • Écrit par
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    Romancier sud-africain de langue anglaise, Peter Henry Abrahams naît le 19 mars 1919 à Vrededorp, près de Johannesburg. Fils d’un Éthiopien et d’une métisse du Cap, il quitte l'Afrique du Sud à l'âge de vingt ans et s'installe d'abord en Grande-Bretagne puis à la Jamaïque. C'est néanmoins sa jeunesse...

  • AFRIQUE AUSTRALE

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    • 5 médias
    ...mécanisme d’exclusion socio-spatiale, n’est pas spécifique à l’Afrique australe, mais la mise en place d’une ségrégation à l’échelle régionale est propre à l’apartheid tel qu’il est conçu en en Afrique du Sud (1948-1994), en Namibie et au Zimbabwe. Ainsi, les populations non blanches sans contrat de travail...
  • AFRIQUE DU SUD RÉPUBLIQUE D' ou AFRIQUE DU SUD

    • Écrit par , , , , , , et
    • 29 784 mots
    • 28 médias
    ...desquelles les droits des non-Blancs étaient restreints. C'est le National Party (NP), arrivé au pouvoir en 1948, qui systématisa cette ségrégation spatiale dans le cadre du système d'apartheid. La politique du petit apartheid imposait la ségrégation des lieux publics. Le grand apartheid définissait les zones...
  • BESTER WILLIE (1956- )

    • Écrit par et
    • 1 191 mots

    Le peintre et sculpteur Willie Bester, aîné d'une famille de sept enfants, est né en 1956 à Montagu, province du Cap, Afrique du Sud. Il avait dix ans quand le Group Areas Act du gouvernement d'apartheid obligea les siens à quitter leur ferme pour intégrer un homeland où étaient regroupés...

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