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APATHIE

Pour les philosophes de la Grèce antique, l’apathie renvoyait à l’insensibilité ou à l’impassibilité devant les passions et, en ce sens, elle avait une connotation positive, puisque censée combattre l’influence néfaste des passions sur la raison. Dans son acception courante actuelle, elle a acquis une signification négative et est associée au manque d’énergie et d’initiative ou à l’indifférence. Dans le courant du xxe siècle, le terme « apathie » a été utilisé pour désigner certaines caractéristiques observées chez des personnes présentant des troubles neurologiques ou psychiatriques, en particulier l’indifférence affective et l’affaiblissement de l’initiative. Mais c’est seulement depuis le début des années 2000 que la recherche sur l’apathie a réellement pris son envol, avec une étonnante progression des publications.

L’apathie est ainsi devenue un syndrome clinique se manifestant de diverses façons : un manque d’initiative, une réduction de l’effort et de la productivité, un manque d’intérêt, de buts futurs et de plans, une indifférence émotionnelle, un émoussement des affects. Ces manifestations regroupées sous le terme d’apathie ont été fréquemment décrites chez les personnes cérébro-lésées à la suite d’atteintes traumatiques, vasculaires ou neurodégénératives, mais aussi chez des personnes ayant reçu un diagnostic psychiatrique (schizophrénie, addiction).

Plus récemment, des experts de divers pays ont proposé des critères diagnostiques de l’apathie, en se basant sur le modèle catégoriel du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM). Ces critères conduisent à l’identification de trois types de manifestations apathiques, à savoir la perte ou la diminution des comportements dirigés vers un but (comportements auto-initiés ou stimulés par l’environnement), de l’activité cognitive dirigée vers un but (perte des idées et de la curiosité spontanées ou provoquées par les événements routiniers et nouveaux) et des émotions (émotion spontanée et réactivité émotionnelle face à des événements positifs ou négatifs). L’apathie, considérée comme entité pathologique distincte, notamment de la dépression, est déterminée à partir de l’identification d’au moins un symptôme dans au moins deux des trois types de manifestations apathiques, les symptômes étant présents la plupart du temps pendant au moins quatre semaines.

L’approche catégorielle soulève cependant de nombreuses questions. Le problème le plus important est qu’elle conduit à envisager l’apathie comme une entité homogène dont il conviendrait d’identifier le soubassement cérébral spécifique. En procédant de la sorte, on néglige la multiplicité des facteurs et mécanismes sous-tendant les différentes manifestations apathiques, ainsi que les recouvrements existant entre celles-ci et les manifestations dépressives. Pour étayer cette diversité des manifestations et des formes d’apathie, il a récemment été montré qu‘elles étaient associées à des lésions affectant des régions cérébrales extrêmement variées (insula, amygdale, cortex préfrontal ventromédial, cortex préfrontal latéral, noyaux de la base, gyrus cingulaire antérieur, faisceaux de substance blanche), à différents types de mécanismes psychologiques (cognitifs, affectifs, motivationnels, identitaires), en lien avec des facteurs biologiques (par exemple, les atteintes cérébrales et les séquelles physiques), sociaux (la stigmatisation, un milieu familial peu soutenant, etc.), environnementaux (telle la faible disponibilité en activités signifiantes et gratifiantes) ou circonstanciels (par exemple, la perturbation des croyances suite au traumatisme). Les recherches futures devront donc prendre en compte l’extrême hétérogénéité des manifestations apathiques, ainsi que des facteurs et des mécanismes qui y sont associés. [...]

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