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APELLE (IVe s. av. J.-C.)

Apelle ou le portrait de l'artiste

Quand Vasari décrit l'admiration du pape devant le cercle parfait dessiné par Giotto, il réécrit l'anecdote d'Apelle traçant une ligne plus fine que celle de Protogène : la réalité de la biographie de Giotto se superpose aux réminiscences du texte de Pline. E. Kris et O. Kurz, qui ont analysé en 1934 la récurrence d'anecdotes similaires dans les biographies d'artistes, ont montré ce que ces thèmes – virtuosité, invention, rang supérieur du créateur – doivent aux « fables » antiques. C'est que les artistes italiens du Quattrocento trouvent dans le livre XXXV de l'Histoire naturelle une image de l'artiste en harmonie avec leur idéal. L'artiste abandonne en effet le statut d'artisan pour voir récompensé son talent plutôt que son travail. Or la description que donne Pline de l'école de Sicyone à l'époque de la jeunesse d'Apelle – le grand peintre est alors Pamphile – présente un tableau propre à faire rêver un Florentin. L'enseignement du dessin est la base de l'éducation libérale, réservé aux hommes libres, interdit aux serviles, et n'est pas dédaigné par des citoyens de haut rang. Pour être peintre, selon Pamphile, il faut avoir étudié toutes les sciences, en particulier arithmétique et géométrie. Apelle aurait laissé de surcroît des traités exposant les principes de son art. Même si ces œuvres littéraires, elles aussi, sont perdues, leur mention par Pline suffit à fonder le genre où s'illustrèrent Leon Battista Alberti ou Benvenuto Cellini. Apelle lui-même, comme Léonard de Vinci à son exemple, met au point un vernis qui donne à ses couleurs une profondeur inimitable : l'artiste, pour ne pas rester artisan et faire valoir son génie, se doit d'être un irréprochable technicien. Cet esprit de Sicyone, étendu ensuite selon Pline à toute la Grèce, anime encore le jardin des Médicis.

Qui plus est, les exemples que cite Pline du « marché de l'art » dans la Grèce antique sont suffisamment frappants pour ne pas passer inaperçus : il affirme que l'œuvre d'art d'exception est sans prix. Pour récompenser Apelle de son Alexandre tenant le foudre, on couvrit le tableau de pièces d'or.

Exemplaires en ce sens les rapports d'Apelle avec Alexandre – légitimation dans le récit antique du comportement de François Ier avec Léonard de Vinci, de Charles Quint face à Titien – : Pline relève d'abord la familiarité avec laquelle le peintre remet en place le conquérant, lui disant que ses propos sur l'art « prêteraient à rire aux garçons broyeurs de couleurs ». En face de ces lignes montrant la noble simplicité de l'artiste antique, Pétrarque note que Simone Martini avait aussi cet agréable caractère. Égalité entre l'artiste et le souverain qui va plus loin encore : Apelle s'éprit de Campaspe, favorite d'Alexandre, tandis qu'il exécutait son portrait. Pline rapporte que le prince offrit le modèle à l'auteur du tableau : échange de la beauté passagère contre l'œuvre d'art impérissable – et rendue plus immortelle encore par l'anecdote qui la perpétue – ou mise en scène du mythe de Pygmalion – l'œuvre d'art qui, par la force de l'amour, devient chair et os ?

Pline donne à Protogène l'anecdote que l'on trouve appliquée à Apelle chez Dion Chrysostome et Sextus Empiricus, selon laquelle, désespérant de pouvoir rendre la gueule écumante d'un chien, il lança son pinceau sur la toile et réalisa malgré lui l'effet recherché : « Le hasard produisit l'effet de la nature ». Première affirmation de la part laissée au hasard dans la création artistique, pierre d'achoppement de toute ekphrasis – quel artifice rhétorique peut aider à décrire la beauté née de la[...]

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, ancien élève de l'École normale supérieure, maître de conférences à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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Média

<it>La Calomnie d'Apelle</it>, S. Botticelli - crédits : Leemage/ Corbis/ Getty Images

La Calomnie d'Apelle, S. Botticelli

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