APHASIE
Ainsi nommée en 1864 par le clinicien Armand Trousseau en opposition au terme aphémie retenu à la même époque par Paul Broca et au terme alalie proposé plusieurs décennies auparavant par Jacques Lordat, l’aphasie est un trouble de la production et (ou) de la compréhension du langage oral et (ou) écrit consécutif à une lésion cérébrale le plus souvent située dans l’hémisphère gauche du cerveau et survenant chez un locuteur ayant été jusque-là en pleine possession de ses capacités langagières dans la ou les langues qu’il maîtrisait auparavant. Il s’agit d’une pathologie acquise, qui ne doit pas être confondue avec les pathologies linguistiques développementales (dysphasies, dyslexies…) survenant lors de l’apprentissage du langage chez l’enfant.
Par l’observation de corrélations anatomocliniques, à l’instar des travaux de neurologues tels que Paul Broca (1824-1880) et Carl Wernicke (1848-1905), différents syndromes d’aphasie ont été identifiés. En dépit de leur relative hétérogénéité de symptômes, une telle identification permet néanmoins de rendre compte de profils linguistiques différents qui, de plus, accréditent la notion de « fractionnement », ou de « modularité », des fonctions mentales supérieures, et donc du langage, dans le cerveau humain. Ainsi, l’« aphasie de Broca » se caractérise par une réduction quantitative et qualitative importante de ce que le patient est capable de dire alors même que ses capacités de compréhension demeurent quasiment normales ; l’« aphasie de Wernicke », en revanche, se manifeste par un déficit majeur de la compréhension du langage, par une perte de contrôle par le patient de ses propres productions (anosognosie), et entraîne de multiples paraphasies, phonémiques ou verbales, sans troubles arthriques (cf. infra), voire une logorrhée et (ou) une jargonaphasie indéchiffrable par autrui. Les troubles du langage oral s’accompagnent souvent, à des degrés variables toutefois, de dysfonctionnements dans la production et (ou) la compréhension du langage écrit (agraphie, alexie…).
Ces perturbations viennent affecter une ou plusieurs des strates structurales des langues naturelles, telles que définies par la linguistique générale : les strates phonétique (troubles dits arthriques, induisant une élocution et une prononciation altérées), phonologique (paraphasies phonémiques), orthographique (paragraphies), lexicale (paraphasies verbales, paraphasies sémantiques) et enfin morphosyntaxique (agrammatisme, paragrammatisme). Ces strates et les unités qui les composent (sons, phonèmes, lettres, graphèmes, mots lexicaux, mots grammaticaux, noms, verbes…) font parfois l’objet de perturbations sélectives laissant les autres strates et unités intactes malgré la lésion. Ces perturbations sélectives permettent alors, grâce à la comparaison d’au moins deux patients, la mise en évidence de « doubles dissociations » (lexique/syntaxe ; noms/verbes…) dont il est possible d’inférer l’« architecture fonctionnelle », ou modélisation psycholinguistique, du langage dans le cerveau humain.
Si l’aphasie peut être observée chez l’ensemble des membres de l’espèce humaine, sa symptomatologie varie de manière assez importante en fonction des caractéristiques structurales des langues parlées et (ou) écrites par telle ou telle communauté : un patient français ou anglais produira des symptômes différents de ceux d’un patient finnois, japonais ou encore hébreu… D’où l’importance des études translinguistiques, y compris celles qui portent sur des patients polyglottes.
En réaction aux dysfonctionnements consécutifs à la survenue de la lésion cérébrale, chaque patient, consciemment ou pas, et souvent avec l’aide d’un orthophoniste, tente, avec plus ou moins de succès, de mettre en place diverses stratégies pour tenter de pallier ses carences dans la [...]
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Écrit par
- Jean-Luc NESPOULOUS : professeur émérite des Universités
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