APOCALYPSE NOW, film de Francis Ford Coppola
Voyage initiatique et mystique
La nouvelle de Joseph ConradHeart of Darkness (Au cœur des ténèbres, 1899) – qui a servi de point de départ au film – contient déjà la recherche, cette fois sur le fleuve Congo, d'un agent Kurtz, en rébellion contre sa compagnie exploitant l'ivoire. La traque de cet homme par le narrateur se transforme aussi en une quête identitaire puis s'étend, au fur et à mesure de la progression dans une nature et face à des populations de plus en plus hostiles, à des réflexions sur l'humanité, la folie des hommes et l'horreur.
Le film, quant à lui, s'appuie sur un grand nombre de séquences chocs en gros plans, pour évoquer le caractère excessif, absurde de la guerre du Vietnam et la débauche de moyens qu'elle a engendrée. Dans une suite d'enchaînements et de tableaux parfois confus, Coppola superpose un regard sur la folie individuelle et collective. Derrière cette horreur, le néant. Au cours de sa quête meurtrière et au terme d'un parcours initiatique semé d'épreuves et d'embûches, Willard s'est peu à peu identifié à Kurtz. La guerre et ses horreurs emportent les personnages dans une tragédie shakespearienne. Les péripéties dramatiques du groupe font écho à la solitude du rebelle hors norme jusqu'à la chute finale. Reprenant certaines théories de Conrad sur l'agressivité, Coppola pose la question de la responsabilité individuelle face au pouvoir. La situation de guerre place l'homme face à l'effondrement des valeurs morales. Le travail photo contrasté accentue la dureté des violences qui prennent alors la forme d'une rédemption lumineuse. Le voyage en bateau relève d'un rite plus initiatique au cours duquel l'homme part à la rencontre de son alter ego.
Le film adopte aussi certaines lois de l'opéra italien. La représentation des événements devient le théâtre d'affrontements sanglants dans un crescendo spectaculaire. Il s'apparente alors à une chorégraphie stylisée alternant scènes collectives et scènes intimes, moments de paix et moments d'hystérie. Ouvert sur une forme de fresque à grand spectacle, il se referme dans un tête-à-tête obscur et étouffant.
Ce film de la démesure continue de hanter l'histoire du cinéma. En 2001, une version plus longue de 53 minutes est présentée à Cannes. Chez Coppola, cette vision exacerbée sous la forme d'un opéra mystique semble à la fois loin de l'apologie patriotique de la guerre faite par John Wayne dans Les Bérets verts (1968) comme de sa représentation critique et intimiste par Michael Cimino dans Voyage au bout de l'enfer (1978). Coppola réinvente ici dans une surenchère de moyens une grammaire nouvelle du cinéma de guerre.
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Écrit par
- Kristian FEIGELSON : maître de conférences, sociologue à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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