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APOLOGÉTIQUE

Athènes et Jérusalem

Depuis la fin des années 1970, sous l'influence d'une réflexion sur les rapports entre la raison et la foi et sur le problème de l'origine de la pensée, un certain déplacement de la problématique s'est opéré – deux modes de pensée distincts, deux noms, deux cités considérés comme étant au cœur de notre héritage : Jérusalem et Athènes. Tandis que les médiévaux, qu'il s'agisse de Maimonide ou de Thomas d'Aquin, admettaient qu'une synthèse était possible, les modernes – tels Leon Chestov et Leo Strauss notamment – sont de plus en plus enclins à reconnaître une tension fondamentale, un conflit irréductible, entre ces deux « modèles » de la vie de l'esprit. Des deux grandes catégories culturelles, gréco-romaine et judéo-chrétienne, qui caractérisent la pensée de l'Occident, Michel Serres écrit : « Ces deux catégories ne sont pas des synthèses, elles ne sont que des séquences. Et peut-être des séquences sans conséquence. Preuve en est que, dans chaque couple, le prédécesseur ne se reconnaît pas dans le successeur, même quand celui-ci le revendique. Le trait d'union n'y est qu'une coupure, souvent [...]. La catégorie de chrétien romain est reconnue, quant à elle, comme une synthèse, précisément celle que la catholicité a universalisée dans tout l'Occident au cours de vingt siècles d'histoire, avec les revers et les succès que l'on sait. Mais il y a, d'autre part, une catégorie moins connue [...] qui m'apparaît jeter sur la question une vive clarté. Le modèle judéo-grec est une synthèse » (Le Modèle de l'Occident). Ainsi une double confrontation s'est inscrite au cœur de la vie de l'esprit. Le Grec a fait une découverte originale, celle du logos et de la science. Le Juif, par ses prophètes, a découvert le temps et l'histoire. Il y a là deux processus interminables, deux opérateurs sans cesse renaissants. L'Orient maintient ces courants séparés. L'Occident est leur confluent. Ces deux découvertes ont pour conséquence l'hétéronomie des langages et elles fondent la différence de la révélation d'avec la philosophie.

Nulle part l'hétéronomie n'apparaît davantage que dans l'œuvre des penseurs qui ont repéré les conflits de l'humanité en même temps qu'ils ont fondé la modernité : Spinoza, Bayle, Freud. Le contraste est figuré par l'opposition entre deux montagnes. Au sommet de l'une, à l'orient de la Méditerranée, Abraham s'apprête à sacrifier son fils Isaac, mais son bras sera retenu. Au sommet de l'autre, à l'ouest des eaux du Bosphore, Œdipe est exposé, suspendu par les pieds ; un oracle a prédit qu'il tuerait son père. Abraham, dans sa piété, ne veut pas pénétrer les desseins de Celui qui lui a parlé. Œdipe ne sait pas ce que le destin lui promet. « Nous portons dans le corps, remarque Michel Serres, ce qu'on nomme communément l'Œdipe, et nous tournons le dos à la première des montagnes. Nous ne savons plus que nous sommes en équilibre entre deux sacrifices. Peut-être l'Occident est-il cet équilibre rompu, la série interminable de tous les déséquilibres, entre un modèle grec, la culture d'Œdipe, et un modèle juif, le culte d'Abraham. »

Consciente de telles prémisses, l'apologétique contemporaine s'est déplacée, de même que l'attitude philosophique à l'égard de la révélation. De part et d'autre, on reconnaît, ce qui sans doute aurait pu être admis d'emblée comme une évidence, que la philosophie n'a jamais réfuté la révélation et ne pourra jamais y parvenir : elle reste en dehors et de sa visée et de ses prises. En outre, la théologie ne saurait couper court aux interrogations de la philosophie ni interrompre sa contestation.[...]

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Écrit par

  • : directeur du Centre d'études Istina et de la revue Istina

Classification

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