APOSTILLE (G. Genette) Fiche de lecture
À la manière de Diderot
Et c'est ainsi que le lecteur gagne sa place. Si Genette évoque Le Neveu de Rameau en quatrième de couverture, il entretient tout le long du livre une conversation avec son lecteur où, au contraire de ce qu'on voit dans le livre de Diderot, MOI et LUI se confondent. Le tête-à-tête a bien lieu et, par-delà souvenirs et évocations, charme et drôlerie, « moments arrachés pantelants au vécu » et pure fantaisie littéraire, il est bien d'ordre intellectuel. L'auteur arrive à reprendre, sans se lasser autant qu'il le prétend, des questions d'ontologie (Numérique), d'esthétique générale (Bricolage, Jazz, Johns, Kitsch), musicale (Concerto, Mahler, Getz, Vienne, Trombone, bien d'autres encore), littéraire (Chartreuse, pour citer la plus conséquente), liées à la poétique (Métalepse, seule entrée à figurer dans les trois ouvrages) ou encore à la linguistique (Délocutif, Linguiste). Stendhal et la musique insistent autant que les présences féminines au fil de pages où l'on se prend à aimer davantage encore les entrées les plus longues (Ariane, Diagonale, Flirt, Manques) et, parmi elles, celle qui résume sans doute le mieux l'ambivalence du projet. Elle est intitulée Lectures – au pluriel, bien sûr, car l'acte de lire n'a pas à être sanctifié, mais répété.
Un peu plus haut, dans Idylle, Genette avait feint de se demander à quoi il servait en un temps où tout peut se trouver sur Internet. L'ouvrage est d'évidence la démonstration du contraire, c'est-à-dire de l'utilité d'un grand lecteur, également auditeur et spectateur, qui mêle ses goûts et ses enquêtes. Et qui ne cite certainement pas par hasard le Prologue de Borges à son Histoire universelle de l'infamie : « Lire est, jusqu'à nouvel ordre, une activité postérieure à celle d'écrire : plus résignée, plus civile, plus intellectuelle. » Les civils lecteurs attendent donc la suite en se demandant s'ils doivent se résigner à la tétralogie ou si la forme du dictionnaire n'est peut-être pas devenue trop « intellectuelle » pour un auteur qui abandonne désormais son esprit à tout son libertinage.
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Écrit par
- Marc CERISUELO : professeur d'études cinématographiques et d'esthétique à l'université de Paris-Est-Marne-la-Vallée
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