APOSTOLIQUES SECTE DES (XIIIe s.)
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Épiphane signale sous le nom d'apostoliques ou apotactiques une secte manichéenne du ive et du ve siècle qui professe le refus du mariage, la continence et le détachement des biens matériels. Le terme « apostolique » reparaîtra au xiie siècle pour désigner les premiers cathares exécutés à Cologne et dans la région de Soissons (1114). Mais c'est aux xiiie et xive siècles que l'appellation prend une valeur particulière en s'appliquant à un mouvement populaire marqué par l'idéal de la pauvreté volontaire, l'ascétisme et des espérances millénaristes qui prendront, avec Dolcino de Novare, un tour insurrectionnel.
Le groupe prend naissance à Parme, en 1260, autour de Gherardo Segarelli qui, rééditant l'option de Pierre Valdo, vend ses biens, distribue l'argent aux pauvres et, s'identifiant au Christ, entend revenir à une conception de l'Église primitive, avec ses apôtres errants. La secte atteint bientôt trois cents membres, auxquels s'ajoute une communauté de sœurs apostoliques, et essaime dans l'Europe entière. Plusieurs raisons expliquent le succès des ségarellistes. Le franciscanisme, qui avait repris à son compte, en le ramenant dans le giron de l'Église, l'exemple de l'évangélisme vaudois, condamné comme hérésie et durement réprimé, s'éloigne de plus en plus des préceptes de son fondateur. Une lutte intestine y oppose les partisans d'une inconditionnelle fidélité au pouvoir pontifical et les « spirituels », fidèles au vœu de pauvreté de saint François, mais respectueux des privilèges de l'ordre. À la date de 1260, donnée par Joachim de Flore comme début du règne des Saints, les apostoliques apportent la conviction d'être le véritable ordre mendiant qui ouvrira les portes du troisième âge. Une partie des spirituels leur est acquise, que le pape condamnera sous le nom de fraticelles.
La guerre entre guelfes et gibelins qui ravageait les cités, les famines, la misère, la peste enfin avaient aisément gagné les esprits aux idées d'apocalypse, de fin du monde et de salut des derniers jours. La confusion mêlait les ferveurs masochistes de la pénitence, comme chez les flagellants ; la pauvreté, brandie comme une vertu et une menace à la face des riches ; la liberté de nature et le désir d'agir impunément, qui s'autorisaient d'une dévotion extérieure, parfois sincère, et d'une impeccabilité garantie par le sentiment d'égaler Dieu dans la création d'un monde nouveau.
Bien que concurrençant les ordres mendiants, Segarelli, habilement protégé par l'évêque de Parme, Opizo, ne tolérait rien dans sa doctrine qui pût nuire aux pouvoirs établis. Il n'est pas sûr, cependant, que ses disciples ne se soient pas montrés plus remuants. En 1287, le concile de Würzburg les condamne, eux et les bégards. Un an plus tôt, le pape Honorius IV avait ordonné de les poursuivre et interdit de leur accorder l'aumône. En 1290, Nicolas IV intensifie la répression. L'évêque doit s'incliner. D'abord condamné à la prison à vie, Segarelli est finalement traîné sur le bûcher le 18 juillet 1300.
Un de ses partisans, Dolcino de Novare (mort en 1307), va radicaliser le mouvement apostolique. Il reprend la prophétie joachimite et la rectifie de la manière suivante. Trois périodes se sont partagé le passé : la première comprend tout l'Ancien Testament ; la deuxième, qui va de la venue du Christ jusqu'au pape Sylvestre, est marquée par la pénitence ; la troisième s'étend de Sylvestre à Segarelli. C'est la phase de décadence de l'Église, qu'aucune réaction monastique n'a réussi à sauver, ni celle de saint Benoît, ni les réformes de saint Dominique et de saint François. La quatrième période verra la chute de l'Église corrompue, la destruction des prêtres et des moines et le triomphe des humbles qui ont en eux l'Esprit saint. Dolcino fixe à des dates rapprochées la réalisation de son vaste projet. Il s'en remet au roi Frédéric de Sicile, ennemi de la papauté, pour exécuter les plans de la justice divine.
Comptant bientôt quatre mille partisans, Dolcino et sa compagne, Margarita de Trente, organisent la guérilla dans les régions de Novare et de Verceil. Le mouvement prend une allure de jacquerie et, de 1303 à 1307, résiste à plusieurs expéditions militaires que le pape Clément V avait assimilées à des croisades et enrichies d'indulgences. Vaincus par la famine, les dolciniens sont écrasés le 23 mars 1307. Dolcino et Margarita périssent dans les supplices les plus odieux.
Apostoliques, fraticelles et bégards tendent alors à se confondre. L'inquisiteur Bernard Gui met tout son zèle à les persécuter et les traque jusqu'en Espagne. Des dolciniens sont brûlés à Trente en 1332 et 1333. On en trouve en Allemagne, en Angleterre, en Italie, en France, à Prague (1315). Vers 1350, vingt-quatre dolciniens sont exécutés à Padoue. En 1372, Grégoire XI intervient contre ceux qui dans le royaume de Naples vénèrent à l'égal des saints Segarelli et Dolcino. Enfin, en 1402 et 1403, l'inquisiteur Schoneveld envoie au bûcher, à Lübeck et à Wismar, deux apostoliques dont les propos mêlent dolcinisme et Libre-Esprit.
L'évolution du mouvement apostolique, de Segarelli à Dolcino, répond au progrès d'une certaine conscience révolutionnaire. Il y a chez Dolcino l'esquisse d'une communauté libertaire, qui n'existait qu'obscurément parmi les ségarellistes pratiquant le nomadisme et la mendicité, selon les mœurs qu'ils prêtaient aux premiers apôtres. Dolcino abandonne la non-violence de Segarelli et le simple recours à la mendicité. Il estime que les redevances et les dîmes payées par les laïcs aux prêtres de l'Église romaine trouveront meilleur emploi dans la collectivité paysanne. L'épreuve de la continence, qui consiste à coucher nu et nue pour affermir la vertu de chasteté et que l'on prête aux dolciniens, doit être rapprochée de la proposition du Libre-Esprit, qu'ils font leur, selon laquelle l'homme et la femme peuvent faire l'amour librement sans pécher. Ce que les inquisiteurs taxent de débauche et d'hypocrisie apparaîtrait plutôt comme un affinement de l'amour, dans une croyance très répandue qui inscrit la relation amoureuse dans la relation avec un Dieu identifié à l'absolu de l'amour.
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Écrit par
- Raoul VANEIGEM : écrivain
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Autres références
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DOLCINO fra (mort en 1307)
- Écrit par Edina BOZOKY
- 309 mots
Chef de la secte des « apostolici » (ou frères apôtres) ; né dans le diocèse de Novara, mort à Vercelli, fils d'un prêtre, Dolcino (en latin Dulcinus, en français Dulcin) devint le réorganisateur de cette communauté qui avait été fondée vers 1260 par Segarelli.
Il vit en exil...
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MILLÉNARISME
- Écrit par Jacques LE GOFF
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...rédempteurs sacrificiels ». Ils réapparurent après la Grande Peste de 1348. Parmi les mouvements millénaristes issus de l'ébranlement de 1260, celui des « apostoliques » de Gérard Segarelli de Parme (brûlé dans cette ville en 1300) et de Fra Dolcino de Novare (brûlé à Verceil en 1307), dans l'Italie du Nord,... -
SEGARELLI GHERARDO (mort en 1300)
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Fondateur du mouvement apostolique, Segarelli illustre le mélange de crainte et d'espérance né des prophéties de Joachim de Flore et du choix par celui-ci de la date de 1260 comme devant marquer l'avènement du règne des Saints et du troisième âge. Le succès du franciscanisme, allié à une période...
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