APPAREIL, architecture
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En termes d' architecture, l'appareil désigne les modalités d' assemblage, de liaison et de mise en valeur des matériaux de la construction. Il est un des éléments essentiels du caractère de l'édifice dont il souligne au premier coup d'œil les structures et souvent la fonction.
L'appareil, pour une part lié à la nature des matériaux, n'est pas exclusivement dépendant d'eux ; des modes d'appareillage demeurent souvent identiques ou inspirés par les mêmes principes quand, dans l'évolution historique, une architecture passe d'un matériau à un autre, du bois à la pierre, de la pierre au béton. L'esthétique propre à chaque matériau ne se dégage que lentement et se manifeste avec un temps de retard assez long par rapport au moment où ce nouveau matériau est d'abord employé. Dans une architecture « vraie », qui cherche ses valeurs d'expression dans les caractères propres de la fonction, l'appareil souligne l'emploi et l'adaptation du matériau suivant le rôle, l'esprit, le but de la structure fonctionnelle de l'édifice. Une fortification n'est pas dressée dans le même appareil qu'une résidence princière ou une église, à moins que l'une ou l'autre de ces dernières n'aient aussi à jouer un rôle défensif. Telle église fortifiée comme celle des Saintes-Maries-de-la-Mer fait appel non seulement aux mêmes formes, mais aux mêmes procédés de construction et au même appareil qu'un château fort contemporain, lequel ne se distingue pas pour le style et la technique des murs d'une enceinte de ville.
Outre sa valeur fonctionnelle, l'appareil est souvent lié au milieu géographique qui exerce son influence, non seulement par les propriétés des matériaux qu'il fournit, mais par le cadre, les conditions climatiques, la nature de ses sols et les conditions de vie humaine. Il reflète, tout à la fois, les caractères historiques d'une période ou d'une région et les valeurs naturelles propres à cette région. On connaît les oppositions susceptibles d'exister entre deux versants montagneux, voire deux vallées d'un même massif.
Phénomène complexe, dépendant de facteurs divers, déterminé par les conditions historiques et géographiques du milieu, par les techniques et la valeur fonctionnelle des édifices, l'appareil est le premier élément qui intervient dans la définition d'une architecture, dans l'évaluation de son originalité et de sa physionomie.
Les divers types d'appareils
Tel qu'on l'a défini, l'appareil n'est pas lié étroitement à des périodes historiques ou à certains types d'édifices. Tel appareil à bossage, où la pierre apparaît en saillie, se répétera à certains moments de l'architecture grecque, de l'architecture romaine et de l'architecture classique européenne. C'est donc pour leur nature propre que nous devons étudier les divers types d'appareil et d'après leur technique d'assemblage (mode de liaison, traitement des joints, des parements), en les classant suivant un ordre de complexité et d'habileté technique.
L'appareil en pierres sèches
Les murs en pierres sèches, constitués par un empilement de matériaux à peine dégrossis, appartiennent à toutes les époques et à tous les milieux géographiques pourvus de roches. Ils se rencontrent dans toutes les cultures préhistoriques ou protohistoriques du monde méditerranéen.
Les plus beaux exemples sont conservés sans doute en Sardaigne dans les nuraghi comme dans les habitats et les fortifications indigènes du midi de la France. La simplicité de cet appareil en petites dalles imbriquées, dont le seul parement extérieur est dressé, n'a pas nui à la complexité de certaines constructions comme les tours dressées sur plan circulaire ou les maisons couvertes par des voûtes en encorbellement. Il continue à être employé pour les constructions rapides ou économiques, même dans les périodes les plus brillantes des architectures antiques ou modernes ; il est caractéristique de certains paysages de l'Italie méridionale et de la Sicile.
Ces constructions ne doivent pas être confondues avec les murs de moellons, élevés de tout temps avec des pierres de tailles et de formes diverses, liées par des couches de mortier de terre ou de chaux. L'appareil en pierres sèches ne fait appel à aucun liant ; toute sa solidité tient dans le soin et l'habileté de l'empilement.
L'appareil cyclopéen
De caractère primitif et rustique, l'appareil cyclopéen est propre aux civilisations vigoureuses de la protohistoire ; les vestiges les plus admirés appartiennent aux forteresses célèbres de Mycènes, de Tirynthe dont la construction remonte au milieu du deuxième millénaire avant notre ère, ou aux fortifications et aux palais des princes hittites dans leur capitale de Boghaz Köy sur les plateaux anatoliens (xvie-xive s. av. J.-C.). Cet appareil est caractérisé par l'emploi de très gros blocs (parfois deux mètres de long), dont les faces de joint sont à peine dégagées de l'arrachement naturel et qui sont associés sans grand souci de jointoiement ; souvent des « cales » sont nécessaires pour obturer les interstices. Là encore, emploi rapide et économique des matériaux extraits à proximité des chantiers, mais révélateur d'une civilisation guerrière, militaire, exprimant la force et la puissance de ces princes conquérants dont Homère a célébré les exploits devant les murs de Troie ; la forteresse de Priam n'était pas construite différemment de celles des rois hittites dont l'empire s'est étendu jusqu'aux confins des pays de l'Euphrate et de la Lycie.
La rudesse de l'appareil n'exclut pas certaines hardiesses de construction. Les portes des enceintes hittites, les couloirs du palais de Mycènes, les galeries du palais de Tirynthe sont construits en voûte ogivale par encorbellement qui amène les derniers blocs des assises au contact les uns des autres sans avoir recours à l'emploi de clés.
L'appareil cyclopéen se rencontre en diverses autres régions d'Italie, d'Europe centrale ou occidentale. Par sa force et sa puissance, cet appareil est toujours la marque d'une architecture à caractère guerrier et souligne le rôle défensif des constructions où il se trouve employé.
L'appareil polygonal
Extérieurement, l'appareil polygonal peut apparaître comme le résultat d'une évolution artistique de l'appareil cyclopéen, les blocs naturels ayant fait l'objet d'une taille et d'un jointoiement plus soignés. En fait, il relève d'une technique et d'un esprit différents. Dans ce mode de construction, les blocs joints respectent leur contour naturel d'extraction ; ils sont adaptés les uns aux autres, à la demande, au fur et à mesure de leur mise en place ; ils ne peuvent être préparés que sur le chantier à l'aide d'un gabarit en plomb qui dessine les lignes auxquelles ils doivent s'intégrer. Image, dit Aristote, de la souplesse qui s'impose aux principes mêmes de l'éducation et de la formation des jeunes esprits auxquels ils doivent s'adapter sans faire violence à leurs qualités naturelles. Il en résulte des parements d'une très grande valeur esthétique, aux joints sinueux dessinant de souples arabesques, associant une impression de grande vigueur à une recherche arististique réelle. Ce type d'appareil est caractéristique des périodes archaïques dans l'architecture grecque, en Italie préromaine, et a donné lieu à quelques belles réalisations modernes, en particulier dans les soubassements d'édifices ou dans les murs de soutènement. Il est toujours associé à une expression de force et de puissance. Les fortifications de la Grèce archaïque, des enceintes indigènes de Sicile et d'Italie, en particulier le très beau mur qui soutient la terrasse du grand temple d'Apollon à Delphes (fin du vie s. av. J.-C.) illustrent ce mode de construction. Les plus belles réalisations et les plus anciennes conservent aux joints un tracé sinueux, accentuant la valeur graphique de l'appareil. Par la suite et dans les emplois modernes de cette taille, on s'en tient à des joints rectilignes qui n'ont plus la même qualité décorative.
On notera d'ailleurs que l'appareil polygonal est en général traité avec des matériaux de grande qualité, granit, marbre ou calcaire dur. Il en est peu d'exemples réalisés avec des calcaires tendres ou des tufs, ces roches se débitant d'ailleurs plus aisément en carreaux et parpaings réguliers, de forme quadrangulaire.
Les parements extérieurs des murs polygonaux sont ravalés avec soin, tantôt avec un très léger bossage qui accentue la puissance et la force de la maçonnerie, tantôt suivant un plan sans saillie, achevé par un polissage qui met en valeur l'arabesque sinueuse des joints. Valeur expressive et recherche esthétique ne sont jamais absentes de telles constructions ; l'une ou l'autre peut être prédominante, mais elles s'opposent et ne s'excluent jamais.
L'appareil régulier
L'appareil régulier, traité en blocs parallélépipédiques, disposés en assises horizontales, de hauteur uniforme ou variable suivant le système choisi, est celui qui, à toutes les époques, se rencontre dans les belles constructions classiques, les belles façades des xviie et xviiie siècles. Instrument d'une architecture équilibrée où toute la valeur d'un matériau est dégagée sans fard et sans déguisement, jouant un rôle essentiel dans la structure et l'harmonie des murs, l'appareil régulier demande une technique de taille et d'assemblage très soignée et très précise ; cet appareil exige une main-d'œuvre experte et coûteuse qui en limite l'emploi et entraîne sa disparition progressive dans l'architecture contemporaine. En outre, il appelle l'emploi de matériaux de grande qualité puisqu'ils jouent leur rôle sans l'aide d'enduits ou de revêtements. Seuls les beaux calcaires, les pierres dures, mais propres à la taille, les marbres répondent aux diverses exigences de l'appareil régulier.
Si le principe d'un tel appareillage est simple et reste constant, les modalités d'emploi et les variantes sont nombreuses. Les joints latéraux peuvent répondre à une verticalité stricte comme dans les constructions grecques du ve siècle avant J.-C. ou dans les palais de la Renaissance italienne, avec même le souci d'établir des correspondances précises entre les assises par l'emploi de blocs de longueur égale ; ils peuvent au contraire prendre une inclinaison plus ou moins accentuée ; l'appareil devient alors trapézoïdal, tirant son nom de la forme que prennent les blocs dont seuls les plans horizontaux sont parfaitement réguliers.
D'autres variantes jouent sur la hauteur des assises qui peuvent être rigoureusement identiques, comme dans le style isodome, ou subir des variations calculées. Tantôt un rythme constant est fondé sur la diminution régulière de la hauteur des assises du pied au sommet du mur, tantôt un rythme plus nuancé fait alterner les assises hautes et les assises basses, soit de l'un à l'autre, soit par groupes de deux ou trois assises ; c'est le style pseudo-isodome.
Enfin des interprétations différentes de ce mode de construction se manifestent par le traitement des joints. Si le mur est senti dans toute son unité, comme un ensemble ayant sa valeur propre, les joints ne prennent aucune valeur et sont réduits à la simple ligne de contact, comme dans les monuments égyptiens et grecs d'époque classique. Au contraire, si la valeur décorative de l'appareil tend à se dégager, les joints sont traités avec une plus grande valeur plastique ; ils sont chanfreinés (l'arête en est abattue) de façon à dessiner des lignes d'ombre qui soulignent les faces éclairées des blocs dont l'individualité peut être accentuée par le style des parements.
L'appareil moulé
Nous désignons sous cette rubrique, la construction en matériaux non autonomes, telle l'argile non façonnée de Mésopotamie ou d'Égypte, le caementicum ou béton romain, le béton moderne. Le principe reste le même à travers les siècles. Il s'agit de couler ces matériaux dans un coffrage qui est enlevé après séchage. Suivant les types de construction et les époques, l'appareil ainsi moulé est laissé, selon l'expression moderne, « brut de coffrage ». On sait les effets que Le Corbusier en a tirés à la chapelle de Ronchamp et son emploi dans les constructions les plus modernes ; de nombreux édifices romains ont reçu le même traitement, en particulier les installations de thermes et d'aqueducs, et, tout récemment, n'a-t-on pas retrouvé dans l'Odéon romain de Lyon, le coffrage encore en place sur une longue section d'un aqueduc ?
Plus souvent, dans l'architecture antique comme dans la moderne, l'appareil moulé reçoit un revêtement de pierre. Petit appareil à losanges réguliers (appareil réticulé) comme les murs d'enceinte romains, placage de marbre dans les riches villas ou revêtements en pierre dans les édifices contemporains : le principe reste le même. On sait que cet appareil moulé est particulièrement fréquent dans la construction des voûtes.
L'appareil à chaînage
Ce mode de construction est associé à des matériaux divers : pierre, brique ou bois ; son origine est sans doute à chercher dans les maçonneries de structure « pauvre ». En effet, à toutes les époques et en particulier dans les régions pauvres en pierre, avant l'emploi du béton, on a construit en briques crues et cuites, voire en simple pisé. La protection et le maintien de ces matériaux, spécialement au pied et aux abouts des murs comme aux angles, exigent des éléments de renforcement qu'on demande souvent au bois, parfois à la pierre. Ces éléments « durs » constituent un cadre (les pans de bois) dans lequel s'empilent ou se tassent les briques et le pisé ; ils forment des chaînages dont la densité est plus ou moins grande. On a vite senti la valeur décorative qu'il était possible d'en tirer, d'où leur accentuation en particulier aux angles. Les procédés au cours des siècles ont été variés.
Peintures et sculptures trouvent sur ces chaînages un terrain favorable. Les architectures extrême-orientales, certaines architectures d'Amérique centrale et méridionale ont fait et font encore un large emploi de ces possiblités. Alliée au souci de protéger les bois, la recherche décorative a provoqué le développement des revêtements de terre cuite peints ; les constructeurs étrusques, les Grecs de Sicile ou d'Anatolie ont ainsi paré les lignes principales de leurs édifices, tout particulièrement en haut des murs et au niveau du comble, par de riches ensembles aux décors géométriques ou animés.
La substitution de la pierre au bois n'a fait que renforcer la valeur structurelle et décorative des chaînages. L'architecture classique en Europe, du xvie au xixe siècle, a tiré un parti systématique de ce type d'appareil, en accentuant le dessein fonctionnel par un élargissement et un renforcement des chaînages et en soulignant la valeur décorative par un traitement expressif des parements. Souvent les effets sont encore accrus par des oppositions de polychromie naturelle (briques rouges et pierres sombres ou mélangées de matériaux plus ou moins colorés). Les exemples sont nombreux dans les châteaux des xvie, xviie ou xviiie siècles ; dans l'Italie de la Renaissance, les chaînages à bossages ont joué un rôle particulièrement vigoureux sur des façades colorées en teintes vives où les ocres et les rouges sont dominants. Le chaînage subsiste d'ailleurs dans l'architecture moderne en béton, en métal ou en verre, bien que les problèmes d'appareil ne se posent plus. Mais sa valeur fonctionnelle et ses possibilités décoratives associées aux structures en font un élément permanent de la construction.
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Écrit par
- Roland MARTIN : membre de l'Institut
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- LIANT, bâtiment et travaux publics
- CHAÎNAGE, architecture
- PAREMENT
- BOSSAGE
- TIRYNTHE
- BRIQUE, architecture
- PIERRE, architecture
- CYCLOPÉEN APPAREIL
- CONSTRUCTION TECHNIQUES DE
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