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SUSPECTS APPARENCE DES, psychologie

Les jugements que nous portons à l’égard de celles et ceux avec qui nous interagissons au quotidien ne reposent parfois que sur de simples associations entre des traits physiques et des traits de caractère. L’utilisation de ces heuristiques (raccourcis mentaux) par les acteurs judiciaires pour sceller le sort de suspects dans des affaires criminelles a naturellement fait l’objet de débats controversés. Pourtant, l’influence de la couleur de peau des suspects, la forme de leur visage ou leur attractivité physique sur les jugements judiciaires est à ce jour étayée par de nombreuses recherches en psychologie, certaines conduites sur le terrain (analyses d’archives) et d’autres en laboratoire auprès de participants endossant le rôle de jurés fictifs (études expérimentales). Parallèlement aux travaux menés pour identifier les caractéristiques physiques des suspects conduisant à des biais de jugement, la communauté scientifique s’attelle à comprendre les processus psychologiques en jeu afin de prescrire des stratégies efficaces destinées à lutter contre de tels biais.

Aux États-Unis, les personnes de couleur de peau noire, perçues a priori comme plus violentes et agressives que les personnes de couleur de peau blanche, ont longtemps été jugées plus sévèrement. En 1983, le professeur de droit David Baldus montrait ainsi que, en Georgie de 1973 à 1979, la peine capitale avait été prononcée dans 21 p. 100 (50/233) des affaires d’homicides impliquant un suspect noir et une victime blanche. Ce taux chutait à 3 p. 100 (2/60) lorsque le suspect était blanc et la victime noire. Bien que de tels écarts de jugement semblaient perdurer dans les tribunaux au début du xxie siècle (voir, par exemple, l’étude d’archives dirigée par David Baldus en 2001), les recherches conduites en laboratoire à cette même période peinaient à mettre en évidence un lien entre la couleur de peau des suspects et les jugements de jurés fictifs blancs. Comment expliquer alors ces écarts de résultats entre les études d’archives et les recherches expérimentales ? S’inscrivant dans la théorie du racisme aversif développée par Samuel L. Gaetner et John F. Dovidio (1986, 2004), Samuel R. Sommers et Phoebe C. Ellsworth (2000, 2009) postulent que, dans un contexte expérimental, pour des affaires judiciaires où la couleur de peau des suspects est explicitement mise en avant par l’une ou l’autre des parties, les jurés (fictifs) contrôleraient davantage leurs réponses pour les rendre plus normatives et prémunir ainsi tout risque de discrimination. Cette hypothèse d’une incidence plus subtile des préjugés sur les jugements est étayée par des recherches sur l’influence de la variation de traits stéréotypiques de visages noirs sur les jugements – influence opérant de façon implicite et donc sans contrôle immédiat des réponses. En exposant des policiers et des jurés fictifs à des suspects de couleur de peau noire et blanche, ces recherches ont montré que plus ces derniers avaient un nez large, des lèvres épaisses et une peau foncée, plus ils étaient perçus comme des criminels par les policiers, plus ils se voyaient attribuer des peines longues par les jurés et plus ils étaient condamnés à la peine capitale lorsque la victime était blanche. À suivre ces recherches, des biais de jugements inconscients associés à des caractéristiques stéréotypiques du visage des suspects seraient donc toujours à l’œuvre, et ce, malgré une évolution des normes sociales encouragée par les politiques et les lois antidiscrimination.

Des études d’archives (par exemple, les travaux menés par John E. Stewart en 1980 et ceux de Leslie A. Zebrowitz et Susan M. McDonald en 1991), associées à des recherches en laboratoire conduites sur la maturité des traits (Baby-face) et l’attractivité perçue du visage des suspects enseignent que les hommes au visage[...]

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Écrit par

  • : docteure en psychologie, maître de conférences en psychologie sociale expérimentale, université de Toulouse-Jean-Jaurès

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