APPRENTISSAGE DE LA COMPRÉHENSION
L’aisance habituelle avec laquelle nous analysons un message – écrit ou oral – et en extrayons les informations pertinentes masque les niveaux d’analyse et les nombreux mécanismes qui doivent être maîtrisés pour le comprendre. Afin d’appréhender cette complexité, considérons l’extrait suivant (d’après R. Dahl, 1988) :
« La famille de Matilda dînait devant la télévision quand ils entendirent une voix forte venant du salon dire : “Salut, salut, salut.” La mère devint toute blanche. Elle dit : “Il y a quelqu’un dans la maison.” Ils arrêtèrent tous de manger. Ils étaient tous sur le qui-vive… »
Voici l’auto-explication exprimée après sa lecture par un adulte :
« Matilda et sa famille dînent certainement dans la salle à manger où se trouve aussi la télévision. Ils sont surpris et apeurés, car ils entendent une voix inconnue qui vient du salon. Ce qui me paraît étrange, c’est que la famille juge menaçant un inconnu qui répète “salut, salut” ; ce n’est pas un message vraiment menaçant. »
Cette auto-explication montre que la compréhension experte n’est que partiellement localisée dans le texte lui-même. Elle provient d’une interaction entre ce qui est dit et la manière dont l’individu y réagit. Les informations exprimées font écho à ses connaissances propres qui le conduisent à ajouter, par inférence, des éléments d’information – « la famille dîne dans la salle à manger où se trouve probablement la télévision ; les membres de la famille sont apeurés parce qu’ils entendent une voix inconnue » – et à émettre des hypothèses et des avis – « c’est étrange d’avoir peur d’un message qui ne semble pas menaçant ». Par cette réflexion, celui qui comprend (le compreneur) montre qu’il centre son attention sur un élément saillant, probablement le point de départ d’une énigme à résoudre. Il établit une attente quant à ce qui devrait suivre – et ce qu’il va chercher – dans l’histoire.
Niveaux de représentation et mécanismes de la compréhension
Comprendre un texte consiste à élaborer une représentation cohérente et unifiée de la situation décrite (un modèle de situation). Cette construction est réalisée de manière progressive et dynamique au fur et à mesure de la saisie du texte. Elle sollicite, dans un temps bref et souvent simultanément, des mécanismes cognitifs nombreux et de natures différentes. On admet aujourd’hui que le texte est analysé en trois niveaux de représentations qui rendent compte des principales étapes d’interprétation. Les mots et les phrases activent en mémoire le sens des mots et les connaissances syntaxiques. Ces activations relèvent d’automatismes cognitifs (ce sont des mécanismes rapides, exécutés hors du champ de la conscience). Elles impliquent une activité parallèle de sélection des significations adaptées au contexte, reposant sur un mécanisme concurrent d’inhibition. Par exemple, l’énoncé « Alex prenait des photos de son balcon quand il aperçut Léa voler une pomme dans le jardin voisin » contient deux ambiguïtés, chacune d’elles étant susceptible d’induire des interprétations différentes : la première est syntaxique et le présent contexte ne permet pas de décider si Alex prend des photos de l’espace désigné par « balcon » ou s’il prend des photos depuis son balcon. La seconde provient de la polysémie du terme « voler ». Le contexte justifie ici de sélectionner sans hésiter la signification « dérober » et d’inhiber celle qui conduirait à se représenter Léa planant au-dessus d’un pommier. Ces premiers traitements aboutissent à une « représentation de surface » relativement morcelée, juxtaposant l’interprétation des phrases successives. Il s’agit d’une représentation du « mot à mot » dont la durée de vie est généralement très brève.
Comprendre un texte[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Maryse BIANCO : docteure en psychologie cognitive, maître de conférences, université de Grenoble
Classification