APPRENTISSAGE ET INTERNET
Un nouveau modèle éditorial
La très grande ouverture d’Internet, où n’importe qui peut écrire n’importe quoi ou diffuser n’importe quelle image sur n’importe quel thème, s’accompagne de nouvelles exigences pour les lecteurs. Nous venons d’un monde éditorial où des institutions de savoir conféraient à des auteurs ou à des éditeurs une certaine autorité, qui garantissait au lecteur que ce qui était écrit était probablement assez juste. La compétence, le désintérêt et l’honnêteté étaient censés diriger les actions des institutions de savoir, des auteurs et des éditeurs. La tâche du lecteur pouvait donc se focaliser sur la compréhension. Les auteurs qui ne respectaient pas ces principes étaient exclus de ce processus éditorial. Garantir la confiance constituait donc un enjeu majeur.
Avec Internet, un autre modèle éditorial s’est progressivement mis en place (qui n’élimine pas le précédent) : le seul fait qu’un auteur soit beaucoup lu suffit bien souvent à construire la confiance d’un lectorat à son égard, puis à lui conférer une véritable autorité – alors que ce qu’il communique peut être faux, partiel ou tendancieux. Peu à peu, dans ce monde éditorial ouvert qu’est Internet, il revient donc au lecteur d’évaluer la qualité des sources. Sans cela, ce dernier prend le risque d’être dupé quotidiennement.
Internet confronte le lecteur à une situation jusqu’alors peu courante : il est amené à lire successivement diverses sources qui tiennent des propos discordants à propos d’un même fait ou événement. Pour de nombreux internautes, la solution est simple : ils éliminent toutes les sources sauf une, généralement celle qui correspond à leur point de vue. Mais, pour celui qui souhaite se confronter à la complexité du monde, les compétences de compréhension nécessaires doivent s‘appliquer au-delà du contenu des articles : il faut aussi savoir identifier les sources, évaluer leur qualité, corroborer et croiser leurs contradictions et convergences. Les recherches dans le domaine montrent que l’usage quotidien du Web ne permet pas à la plupart des utilisateurs d’acquérir ces compétences : seul un enseignement formel et structuré peut répondre à cette difficulté, sans présager, bien sûr, de la mise en œuvre de ces compétences à tout instant par les lecteurs.
Le fabuleux potentiel du Web dans le domaine des apprentissages a pu conduire certains à imaginer qu’avec Internet les humains auraient moins besoin d’apprendre dans le cadre de l’école, notamment en ce qui concerne certaines connaissances notionnelles ou factuelles. Une personne qui sait bien orienter ses recherches sur Internet pourrait, selon ce point de vue, trouver la connaissance qui lui manque au moment où elle lui manque. Pourtant, cette idée est remise en cause par de nombreux travaux empiriques. En effet, pour chercher à acquérir une connaissance dont on a besoin, il faut déjà disposer d’autres connaissances qui y sont liées. Dans le cas contraire, on a bien peu de doute et on ne sait pas ce qu’on ignore. Sur Internet, les individus ne cherchent la plupart du temps que des informations en relation avec ce qu’ils savent déjà. Quand on leur demande de rechercher une information sans qu’ils en éprouvent le besoin, ils rencontrent des difficultés à formuler une requête pertinente. En outre, pour comprendre ce qu’on lit, là aussi, il faut d’autres connaissances. Et le lecteur ignorant éprouve fréquemment l’illusion de savoir : il ne se rend pas compte qu’il ne comprend pas correctement ce qu’il croit apprendre.
Internet, notamment grâce au Web, constitue un environnement documentaire et de communication totalement inédit dans l’histoire humaine. C’est un environnement tellement riche qu’il représente un formidable support pour apprendre, seul ou ensemble, dans tous les domaines. Mais c’est également un environnement[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Franck AMADIEU : professeur des Universités en psychologie cognitive et ergonomie au Laboratoire cognition, langues, langage, ergonomie, université de Toulouse
- André TRICOT : professeur de psychologie, École supérieure du professorat et de l'éducation, Toulouse
Classification