AQUARIUS (K. Mendonça Filho)
Kleber Mendonça Filho est né en 1968 à Recife, où il a passé son enfance, avant de connaître une adolescence londonienne. Il continue de vivre dans cette ville du Nordeste brésilien, marquée comme toutes les grandes cités du pays par une tradition sociale et culturelle très spécifique. Il est d'abord journaliste pour de grands quotidiens, le Jornal do Commercio et la Folha de São Paulo, et notamment critique de cinéma. Dans les années 1990, il réalise des documentaires vidéo et des courts-métrages expérimentaux. Recife, la « Venise brésilienne », est déjà son principal personnage avec son passé esclavagiste et colonial, ses obsessions sécuritaires, ses plages magnifiques et ses tensions sociales. En 2012, son premier long-métrage de fiction, Les Bruits de Recife, lui vaut une réputation internationale. Primé dans de nombreux festivals, proposé par le Brésil pour l'oscar en 2014, le film, centré, comme Aquarius (2016), sur un immeuble de la ville, est admiré partout, notamment pour ce que beaucoup appellent l'« hyperréalisme » de Mendonça. En France, l'accueil critique est unanime : on salue la cohérence de son travail, entre audace formelle et rigueur dans le portrait d'un univers social. Son utilisation de la bande-son comme élément décisif de la narration, soulignée par le titre, se retrouvera dans le film suivant.
Portrait de femme
Aquarius est le nom d'un immeuble de bord de mer convoité par des promoteurs qui rachètent tous les appartements mais doivent faire face à l'entêtement de la dernière propriétaire, Clara, ex-critique musicale sexagénaire. Clara a toujours vécu à cet endroit et ne veut sous aucun prétexte abandonner ses souvenirs, son univers intime... Elle a triomphé dans sa jeunesse d'un cancer du sein et vit seule, accompagnée d'une employée de maison qu'elle aime et qu'elle exploite, dans une relation faite de sentiments complexes. Ses enfants, adultes, s'inquiètent de son obstination tout en respectant une mère autoritaire et rayonnante. Clara est interprétée par Sonia Braga. Qu'une actrice d'une telle réputation accepte ce rôle difficile avec tant d'enthousiasme n’a pu que surprendre et réjouir pleinement le réalisateur. Sonia Braga, qui n'avait plus tourné depuis 2010, fut avec Dona Flor et ses deux maris (Bruno Barretto, 1976) ou LeBaiser de la femme araignée (Hector Babenco, 1984) une des plus grandes stars du pays. Dans l'imaginaire brésilien, c'est une icône, un sex-symbol, ce qui n'est pas négligeable pour l’interprétation d'une Clara de soixante-cinq ans combative et puissante, dont l'énergie va de pair avec la classe et la beauté. Le passé de Clara, sa culture, son expérience du cancer et de la mutilation vont lui permettre de dominer la vulgarité de l'argent-roi, mais aussi ses démons intimes. Même si Mendonça ne cache rien de ses faiblesses et de ses défaites.
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Écrit par
- René MARX : critique de cinéma
Classification
Média