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AQUARIUS (K. Mendonça Filho)

Un lieu de mémoire

Le nom de l'immeuble, Aquarius, le « Verseau », renvoie probablement à la mythologie hippie de la fin des années 1960, l'« ère du Verseau » que célébrait la comédie musicaleHair. De fait, Clara est d'abord fidèle à une jeunesse vécue sous la dictature, aux valeurs libertaires d'après 1968 que tous semblent avoir oubliées autour d'elle, y compris ses enfants, rentrés dans le rang. Le capitalisme doucereux et impitoyable, les spéculateurs formés aux écoles américaines de communication pour déguiser leur rapacité, elle seule paraît les démasquer grâce à sa mémoire. Mémoire impossible à dissocier du lieu où elle a vécu. La transgression vient de loin.

Dès l'anniversaire d'une tante, dans les années 1980, que Clara se remémore au début du film, la bonne vieille dame fêtée par ses proches a des visions érotiques précises, des souvenirs d'étreintes vécues dans ce même appartement. Les femmes de cette famille ne sont pas récupérables par la bien-pensante modernité. En décrivant Clara, le cinéaste ne dissimule pas son appartenance sociale, ses privilèges de femme cultivée qui a consacré sa vie à la musique, son rapport aux plus modestes. Elle est une héroïne parce qu’elle affronte seule le pouvoir absolu de l'argent, mais elle n'est en rien une sainte de la révolution. En tout cas elle n'a peur de rien. Elle rappelle assez bien un autre lutteur, le Daniel Blake de Ken Loach, même si lui est un « vrai » pauvre détruit par un État aveugle, quand Clara peut triompher des marchands.

La musique, écoutée par Clara sur des vinyles qui symbolisent sa défiance des nouvelles idoles, rythme le film. Elle a été critique musicale comme Mendonça a été critique de cinéma. L'appartement lui-même rythme les images d'Aquarius :l'utilisation du lieu comme sujet même de sa cinématographie est une des grandes qualités du cinéaste. L'aller-retour constant entre passé et présent, la problématique de l'âge qui vient rappellent le projet original de Mendonça, qui avait pensé à un film sur les archives. Le générique se présente d'ailleurs comme une succession de clichés noir et blanc montrant le vieux Recife. Dans le cours du film, Clara devra fouiller dans d'impressionnants rayonnages d'archives publiques pour appuyer son combat. Combat filmé avec un vrai sens du thriller, les leurres narratifs semés dans le récit renforçant le suspense. La longueur du film, deux heures vingt-cinq, souligne l'acharnement, la persévérance de son personnage principal. Si elle gagne, c'est sur le long terme, grâce à sa maîtrise du tempo de l'affrontement.

Aquarius a reçu un accueil critique exceptionnel au festival de Cannes 2016 et en est reparti bredouille, comme cela arrive souvent. Il a aussi fourni l’occasion à toute l'équipe, Sonia Braga comprise, de manifester, sur les marches du palais des Festivals, contre la destitution de la présidente Dilma Rousseff. Une manière de relier l'actualité à la signification profonde du film présenté. Des polémiques se sont ensuivies au Brésil : applaudissements dans les salles assimilés à un soutien à la présidente déchue, interdiction d’Aquarius aux mineurs, tentative d'écarter le film des candidats brésiliens aux oscars, soutien de nombreux confrères de Mendonça. Puissance du cinéma…

— René MARX

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<em>Aquarius</em>, Kleber Mendonça Filho - crédits : Victor Juca CinemaScopio/ BBQ_DFY/ Aurimages

Aquarius, Kleber Mendonça Filho