AQUEDUCS, Antiquité
Le rôle des aqueducs
Réfléchir sur les raisons de la construction des aqueducs conduit à s'interroger sur la rationalité socio-économique de la cité antique. Établir un lien décisif entre le développement urbain et l'alimentation en eau serait une attitude « moderniste » : on transposerait sur les villes antiques une réalité moderne. En fait, dans l'Antiquité, l'eau fixe rarement l'habitat : elle ne détermine que la localisation de certaines cultures, les jardins en particulier. Mais les civilisations méditerranéennes ont su s'adapter, soit par le portage, soit par la construction et l'utilisation systématique des citernes. Un texte de la ville de Pergame en Asie Mineure – sans doute la copie d'époque impériale d'un règlement d'urbanisme antérieur de deux siècles – est là pour confirmer l'attention que les autorités continuaient à porter à l'entretien des citernes, alors même que de nouveaux aqueducs étaient venus compléter la canalisation du Madradag dont le siphon a été décrit plus haut : les magistrats municipaux devaient tenir la liste des citernes et exiger qu'elles soient convenablement entretenues sous peine d'une forte amende. L'étude archéologique des villes antiques démontre l'importance accordée aux citernes qui étaient appelées à pourvoir à leurs besoins alimentaires et domestiques.
L'utilité des aqueducs telle que la concevaient les Anciens et telle qu'elle apparaît à l'historien n'est donc pas tout à fait celle que lui attribue le sens commun moderne qui songe plutôt aux usages économiques de l'eau. Le principal argument utilitaire invoqué par les Anciens en faveur des aqueducs n'est pas de permettre un développement économique mais d'apporter à la ville la salubrité. Évoquant l'effet de la mission de réorganisation des aqueducs que lui a confiée l'empereur, Frontin prévoit qu'« il se fera sentir davantage sur l'hygiène de la ville grâce à l'augmentation du nombre des châteaux d'eau, des travaux d'adduction, des fontaines monumentales et des bassins publics... Même les eaux d'écoulement ne restent pas oisives ; les causes du mauvais air sont enlevées, l'aspect des rues est propre, l'atmosphère plus pure et cet air, qui, du temps des Anciens, donna toujours mauvaise réputation à la ville, a été chassé ». C'est là l'utilité qui lui fait s'écrier : « Aux masses si nombreuses et si nécessaires de tant d'aqueducs, allez donc comparer des pyramides qui ne servent évidemment à rien ou encore les ouvrages des Grecs, inutiles, mais célébrés partout ! »
Dans la construction des aqueducs entrent pour une part décisive des motivations analogues à celles qui ont conduit les villes à se doter de forum, de thermes, d'édifices de spectacles, théâtre, amphithéâtre et cirque. L'utilité d'un aqueduc est d'ordre social, esthétique et sanitaire : il est le signe de la puissance d'un notable ; il embellit la ville en la rendant plus propre. L'aqueduc antique n'a pas d'utilité économique au sens strict et en cela se différencie de tous nos grands travaux qui, eux, sont des facteurs d'incitation à la production (des investissements). Monument typiquement urbain par sa finalité, rural par son tracé, l'aqueduc apparaît comme le meilleur symbole de l'organisation de l'espace rural par la ville antique.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Philippe LEVEAU : professeur à l'université de Provence (Antiquités nationales)
Classification
Médias
Autres références
-
EUPALINOS DE MÉGARE (milieu VIe s. av. J.-C.)
- Écrit par Bernard HOLTZMANN
- 528 mots
Ingénieur grec né à Mégare, auteur à Samos d'un aqueduc souterrain décrit par Hérodote (Histoires, III, 60) comme l'un des ouvrages d'art les plus remarquables construits par les Grecs.
Redécouvert en 1882, le tunnel qui en constitue la section centrale a été complètement dégagé...
-
GAULE
- Écrit par Jean-Paul DEMOULE et Jean-Jacques HATT
- 26 438 mots
- 4 médias
...deux catégories de travaux d'utilité publique : les adductions d'eau et les routes. Les grands thermes urbains devaient être desservis par d'immenses aqueducs qui ont laissé des vestiges souvent impressionnants (pont du Gard ; piles de Jouy-aux-Arches, près de Metz). L'alimentation en eau de source fut... -
MINES, Antiquité gréco-romaine
- Écrit par Claude DOMERGUE
- 12 763 mots
- 1 média
...quantité, d'abord pour séparer l'or de sa gangue de graviers et d'argiles, ensuite pour évacuer les stériles, dont les volumes étaient énormes. Dans ce but, d'innombrables réseaux d'aqueducs ont été construits, qui dérivaient l'eau de toutes les sources possibles – y compris parfois l'eau qui... -
POMPÉI
- Écrit par Hélène DESSALES
- 4 784 mots
- 31 médias
La ville était desservie en eau par une dérivation de l’aqueduc construit sous le règne d'Auguste (Aqua Augusta) et alimenté par des sources à partir de Serino. Il a été précédé d'un autre aqueduc de moindre envergure, qui remonte à l'époque de la formation de la colonie. À Pompéi, outre un...