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ARABE (MONDE) Littérature

L'imaginaire captif

Il peut paraître audacieux d'introduire l'imaginaire « populaire » dans un développement sur la littérature. En premier, parce que l'objet se dérobe lui-même à l'analyse et surgit plus de nos définitions qu'il ne dévoile sa réalité. Ensuite, parce que la culture arabo-islamique, tout entière organisée par son discours scientifique, a mis l'imaginaire sous bonne garde, et plus strictement encore celui qui pouvait avoir quelque relation avec des représentations dites populaires. Trois exigences l'ont poussée à prendre cette attitude.

– Celle de préserver le modèle linguistique mis au point par la réflexion théorique après l'apparition de l'Islam. L'unification de la langue accompagne celle des concepts. Elle est donnée comme symbole de cohésion. Si la diversité des parlers est admise dans la pratique sociale, elle ne l'est pas au niveau du projet culturel : seule la langue dite classique est devenue l'instrument d'expression de toute une civilisation. Seule sa production devait accéder au rang de littérature.

– L'exigence d'imposer à la créativité des normes et des catégories. Les développements consacrés à la poésie et à la prose montrent dans quel système était prise cette créativité : il n'offrait aucune place à ce qui était considéré comme relevant de modes inférieurs d'expression ou à ce qui permettait la présence de discours non contrôlés.

– L'exigence enfin de régir l'accès à la culture et, conjointement, de surveiller avec soin toute inspiration qui puiserait aux sources de l'imaginaire populaire.

Est-il donc permis d'intégrer ce dernier dans l'analyse d'une littérature où il n'eut point de place ? Et quel corpus délimiter pour ce faire ? La culture savante a dressé partout ses textes face à ceux de la culture préscientifique : l'historiographie a chassé la légende, la poésie méprise le chant quotidien, la musique et la calligraphie développent des arts d'élite. Le conte est désigné dans le grand catalogue de la culture d'Ibn an-Nadīm (Al-Fihrist, ive/xe s.) sous le nom de ḥurāfa, par référence au radotage d'un vieillard ou au délire d'un fou. Il faut donc nous résigner à classer nous-mêmes certaines œuvres en une catégorie qui se prête à la réflexion sur l'imaginaire populaire sans contrevenir aux données de l'histoire. L'entreprise est arbitraire, certes, et laisse échapper une masse de documents irrémédiablement perdus pour avoir été confiés à la tradition orale. Mais elle permet au moins de jeter un regard sur des sites tenus à l'abri de toute curiosité.

Cette « littérature » comprend trois sortes de textes : les contes ayant fait l'objet de recueils tels les Mille et Une Nuits ; les légendes religieuses représentées par un ouvrage comme le Qisas al-anbiyā' qui regroupe des récits et légendes concernant les Prophètes d'avant l'Islam ; les « romans » construits autour de personnages tels ‘Antara, Abū Zayd al-Hilālī ou Baybars. Ces textes ont plusieurs caractéristiques communes. La première est qu'ils ont tous été mis par écrit après un temps plus ou moins long de transmission orale. Les auteurs ou les copistes qui les ont réunis ont rétabli une langue « correcte » et parfois savante. La deuxième de leurs caractéristiques est que, religieux ou profanes, légendaires ou d'inspiration historique, ce sont tous des récits. La troisième est qu'ils constituent l'ensemble le plus « littéraire », au sens où nous l'entendons maintenant, de la production médiévale arabe. C'est sur ce dernier point qu'il faut insister.

Le conte des Mille et Une Nuits, la légende religieuse et le « roman » historique façonnent en effet l'imaginaire. Ils ne[...]

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Séances d'al-Harîrî - crédits :  Bridgeman Images

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Al-Idrisi : l'Inde - crédits : De Agostini/ Getty Images

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