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ARCHÉOLOGIE (Archéologie et société) Archéologie du temps présent

Archéologie des conflits et des charniers

Sépulture collective de la Première Guerre mondiale, Arras - crédits : G. Prilaux/ Inrap

Sépulture collective de la Première Guerre mondiale, Arras

Toutes ces études innovantes posent évidemment le problème de la définition de l'archéologie, mais aussi de ses limites chronologiques. Le débat a été posé très concrètement en France au début des années 1990 à propos de l'écrivain Alain-Fournier, l'auteur du Grand Meaulnes, mort au front au début de la Première Guerre mondiale, à l'occasion de la fouille de sa tombe qui avait été localisée dans les bois de Saint-Rémy-la-Calonne, dans la Meuse. Devait-on y laisser sa dépouille ou bien simplement la récupérer, comme on relève parfois les corps d'un cimetière lors de « réductions » de sépultures, afin de l'inhumer dans un véritable cimetière ? Ou encore, fallait-il se livrer à une véritable fouille archéologique ? C'est la dernière solution qui fut adoptée, au terme d'un débat scientifique animé. Une fouille fine démontra que l'écrivain avait été sommairement enterré avec une vingtaine d'autres soldats français fusillés par l'armée allemande pour avoir attaqué et pillé une ambulance militaire allemande sur ordre de leurs supérieurs. De fait, des monnaies allemandes furent retrouvées à l'emplacement des poches de certains soldats. Ainsi, ce qui relevait jusque-là du service des inhumations militaires et des méthodes d'exhumation sommaires devenait une démarche scientifique porteuse d'informations nouvelles. Cette option fut ensuite généralisée. Il est désormais clair que l'étude des vestiges militaires de la Grande Guerre appartient à l'archéologie. La fouille archéologique des tranchées apporte des informations concrètes sur la vie quotidienne des soldats, qui n'était connue jusque-là que par des témoignages écrits ou oraux. Pour cette même période, l'exhumation près de Iekaterinbourg, en Russie, des membres présumés de la famille impériale exécutés par le gouvernement bolchevique en 1918 a fait l'objet en 1991 d'une fouille archéologique et d'analyses anthropologiques complémentaires, qui ont conduit à leur réinhumation solennelle à Saint-Pétersbourg.

Les vestiges de la Seconde Guerre mondiale sont entrés à leur tour depuis peu dans le champ de l'archéologie, tandis que l'on commençait à classer au titre des Monuments historiques certains ouvrages militaires appartenant au mur de l'Atlantique ou à la ligne Maginot. La préservation des installations liées à la guerre froide, désormais en partie périmées, est maintenant demandée par un groupe de réflexion international d'archéologues et de spécialistes du patrimoine.

Les conflits armés récents ont été l'occasion d'opérations associant archéologie, éthique, histoire et droit. Une enquête d'envergure a été menée en Ukraine par le père Patrick Desbois sur les traces de la « Shoah par balles », qui conduisit à l'assassinat de centaines de milliers de Juifs par les Einsatzgruppen nazis. Ceux-ci rassemblaient leurs victimes le long de tranchées préalablement creusées, au fond desquelles elles tombaient sous les balles, avant qu'elles ne soient ensuite comblées. Le père Desbois, combinant enquêtes orales auprès des habitants et prospections sur le terrain, à la recherche notamment des douilles de balles à la surface des champs, a localisé environ 1 200 de ces fosses. Même s'il fait le travail d'un historien, son but est cependant autre : responsable au sein de l'Église catholique des relations entre juifs et chrétiens, il souhaite pouvoir donner in fine à ces morts une sépulture qui soit en accord avec leur religion. Le travail d'exhumation lui-même et la définition des méthodes qui seront utilisées n'ont pas encore commencé.

C'est pour d'autres charniers plus récents encore, ceux de la dictature argentine des années 1970, du [...]

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  • : professeur émérite à l'université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et à l'Institut universitaire de France

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