ARCHÉOLOGIE (Archéologie et société) Archéologie et enjeux de société
L'archéologie a été longtemps considérée comme un passe-temps érudit, bien éloigné des préoccupations profondes de la société, et les archéologues comme des rêveurs, inoffensifs mais hors de leur temps : qu'on pense à Bouvard et Pécuchet, ou au professeur Grossgrabenstein du « Mystère de la Grande Pyramide ». En réalité, l'archéologie a joué un rôle politique et historique essentiel, partenaire depuis deux siècles de la construction de toutes les identités nationales, un processus toujours en cours. Désormais très professionnalisée, elle est la discipline par laquelle une société choisit de préserver et de reconstruire son passé, de réfléchir sur son histoire. Cela confère aux archéologues d'importantes responsabilités
En 1990, des archéologues indiens affirmèrent avoir découvert à Ayodhya (Uttar Pradesh), sous la mosquée construite au xvie siècle par l'empereur moghol Bāber, les vestiges d'un temple hindouiste, lieu de naissance du dieu Rāma. Aussi, en décembre de la même année, une foule d'extrémistes hindouistes entreprit-elle la démolition de la mosquée, provoquant à travers toute l'Inde des émeutes interreligieuses, sinon interethniques, qui firent plus de deux mille morts.
Si, depuis deux siècles, un nombre croissant de nations ont développé des services de recherche archéologique, c'est que, au-delà d'un simple intérêt pour la connaissance du passé, l'archéologie de leur territoire était nécessaire à leur affirmation identitaire. De savant curieux aux xviie et xviiie siècles, l'archéologue est ainsi devenu un gardien, un garant, sinon un créateur de la mémoire nationale. Cela pour le meilleur, lorsqu'un tel rôle a permis ou permet encore la sauvegarde et l'étude d'un patrimoine archéologique par définition non renouvelable, ainsi que sa restitution auprès du public. Mais aussi pour le pire, comme à Ayodhya et dans bien d'autres lieux.
Le peuple et la race
Lorsque commencent à se constituer, à partir du début du xixe siècle et du mouvement romantique, les États-nations au sens moderne du terme, ceux-ci se fondent d'abord sur une communauté de territoire et de langue, et plus profondément encore sur ce qui est perçu comme une communauté de destin, sinon « de sang », et bientôt « de race ».
Cette dernière notion ne fait son apparition progressive que dans la seconde moitié du xixe siècle, et son utilisation n'est pas toujours simple, vu la variété des apparences physiques au sein de la plupart des États. Le racisme d'État aura néanmoins une carrière prospère. Si le nazisme en fut le point d'aboutissement le plus tragique, on rappellera que l'apartheid légal a été en vigueur aux États-Unis jusque dans les années 1960 – et pendant trois décennies supplémentaires en Afrique du Sud –, tandis que des formes de discrimination raciale d'intensité variable sont attestées dans la plupart des nations modernes, même les plus démocratiques. Toujours est-il que, du milieu du xixe siècle jusqu'au milieu du xxe, anthropologie physique et archéologie collaborèrent étroitement pour essayer d'asseoir une réalité nationale sur une réalité biologique.
En France, entre 1860 et 1880 environ, les savants réunis autour de Paul Broca et de la Société d'anthropologie de Paris tâchèrent, au prix d'efforts désespérés, de définir, sinon une race française, du moins deux races (grands blonds au nord, petits bruns au sud), harmonieusement mêlées et attestées dès les temps préhistoriques. L'anthropologie physique, en tant que moyen « scientifique » d'identifier des « races », ne commença à refluer qu'à partir des années 1930 dans les pays anglo-saxons, et seulement dans les années 1980 en France. En 1996 encore, la découverte aux États-Unis d'un squelette préhistorique d'apparence « europoïde[...]
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Écrit par
- Jean-Paul DEMOULE : professeur émérite à l'université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et à l'Institut universitaire de France
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