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ARCHÉOLOGIE (Traitement et interprétation) Les modèles interprétatifs

Les théories du fonctionnement social

Derrière ces différentes catégories de facteurs, parfois antagonistes, archéologues et historiens utilisent, explicitement ou non, des modèles encore plus globaux. Longtemps a dominé dans les sciences humaines et sociales une vision évolutionniste et linéaire de l'histoire, qui paraissait même frappée du coin du bon sens : de même que l'enfant devient adulte, les sociétés humaines seraient passées des formes les plus simples pour développer des formes de plus en plus complexes, dont l'ultime aboutissement était bien sûr la société industrielle occidentale. Cette théorie, déjà présente chez Condorcet, se retrouve au xixe siècle chez Morgan, Marx et Engels (qui ont recours de manière importante à la préhistoire) et sera développée par de nombreux ethnologues. Déconsidéré un temps par les approches exclusivement synchroniques du structuralisme, l'évolutionnisme, sous des formes beaucoup plus élaborées, a de nouveau droit de cité intellectuel, pour l'essentiel avec des ethnologues qui se fondent sur les données de l'archéologie et sont à leur tour utilisés par les archéologues, comme Marshall Sahlins aux États-Unis ou Alain Testart et Maurice Godelier en France.

En fait, s'il existe bien un développement global des sociétés humaines vers plus de complexité, ne serait-ce qu'en raison d'une démographie en constant accroissement, l'archéologie nous propose de nombreux exemples, sinon de « retours en arrière », du moins d'« effondrements » (pour reprendre un titre récent du chercheur américain Jared Diamond qui a popularisé ces réflexions) de sociétés passées pourtant très complexes, des Maya à Mycènes, et de l'Indus aux princes de Hallstatt. En mettant à part les causes extérieures (catastrophes naturelles, invasions, etc.), il semble bien que les sociétés aient souvent le « choix », même inconsciemment, de leur destin, que ces choix peuvent aboutir à ce que l'on a parfois appelé un « suicide écologique », comme pour l'île de Pâques et les Maya (et que certains prédisent pour nos propres sociétés), à des mouvements de révolte qui aboutissent à la restauration d'un ordre moins inégal, ou encore, en restant à un niveau descriptif, au retour à des formes socio-économiques moins surdimensionnées, comme pour la civilisation de l'Indus.

Ces questions de la linéarité ou non, et de la rationalité ou non, du développement des sociétés passées renvoient aussi à différentes conceptions du fonctionnement social. Les sociétés humaines sont-elles avant tout conflictuelles, comme le suppose le matérialisme historique depuis Marx et Engels ? Ou, au contraire, obéissent-elles à une certaine rationalité interne, guidées par une sorte de « main invisible », comme le suppose le libéralisme économique depuis Adam Smith ? Cette dernière hypothèse a souvent été proposée pour expliquer l'émergence des premières hiérarchies sociales dont le but aurait été avant tout, comme avec les palais crétois, de centraliser puis de redistribuer rationnellement les biens.

Cette revue des nombreux débats en cours confirme que l'archéologie ne s'arrête effectivement pas à la collecte et à la mise en ordre de ses données et que, symétriquement, elle ne cesse de nourrir, par la profondeur de temps qui est la sienne, des réflexions et des interrogations qui concernent toutes les sciences humaines et sociales. La variété des points de vue et des postulats de départ ne doit pas conduire au relativisme ou au scepticisme. D'une part, les mécanismes du raisonnement et de la preuve existent en archéologie comme dans toute autre science. D'autre part, la plupart des phénomènes étudiés semblent bien relever de causes multiples, dont il convient à chaque fois de savoir estimer l'importance respective. Enfin, il reste essentiel que les[...]

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  • : professeur émérite à l'université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et à l'Institut universitaire de France

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