SHEPP ARCHIE (1937- )
À partir des années 1963-1965, le saxophoniste et multi-instrumentiste américain Archie Shepp a toujours été à la pointe la plus avancée du jazz. Encore jeune, il était reconnu comme un des principaux représentants de la deuxième génération du free jazz, que lui et ses amis préféraient nommer « New Thing », afin de mieux marquer la rupture avec les connotations d'un mot – jazz –, qu'ils rejetaient. Sa longue carrière, qui s'est déroulée en grande partie en Europe, témoigne d'une recherche permanente, et d'un refus constant des conventions, même si son goût pour les rencontres musicales les plus diverses a pu, à l'occasion, brouiller sa perception (enregistrements avec Chico Hamilton, concerts avec Chet Baker, concert et disque avec un rappeur).
Un son aisément reconnaissable, abrupt mais exprimant une forme de lyrisme qui lui est propre, un jeu savant sur les contrastes et les écarts harmoniques, la fougue caractéristique des débuts du free new-yorkais servent un discours à l'expressivité fiévreuse et véhémente. Son style est fait aussi d'ellipses, de sous-entendus, d'instants concis, quasi élégiaques. Ses premiers disques, avec Cecil Taylor puis au sein du New York Contemporary Five aux côtés de Don Cherry et John Tchicai, révèlent une subtile influence de Sonny Rollins mêlée à celle, inévitable, de John Coltrane, dont l'itinéraire va stimuler et encourager les nouveaux musiciens. Mais Shepp entretient un dialogue permanent avec toute la tradition du saxophone ténor – de Ben Webster à Dexter Gordon –, et il reprend l'héritage des sons « impurs », non orthodoxes, du répertoire propre au jazz : growl (grognement), glissando, effets de souffle, dissonances, stridences des chanteurs et saxophonistes de rhythm and blues (blues shouters), irrévérences des premiers boppers...
Ballade en noir
Né en Floride – à Fort Lauderdale, le 24 mai 1937 – mais éduqué à Philadelphie où, à la fin des années 1950, de nombreux jeunes se passionnent avec lui pour une musique qui dessine leur avenir, Archie Vernon Shepp pratique plusieurs types de saxophone et le piano. Toutefois, c'est vers le théâtre qu'il s'oriente d'abord, comme acteur et auteur – il a écrit plusieurs pièces, parmi lesquelles The Communist (1965) et Juneburg Graduates Tonight (1967). Et il participera à des créations associant musique et textes : Lady Day. A Musical Tragedy (1972), un spectacle consacré à la vie de Billie Holiday, écrit par Aishah Rahman (c'est le spectacle qui révèlera à certains observateurs les similitudes entre la voix, cassée, voilée, de la célèbre chanteuse et la sonorité propre à Shepp), ou Black Ballad (1991), mis en scène à Paris par Frank Cassenti avec Shepp et des artistes africains. Si ses vœux de spectacle total ont rarement été réalisés, on lui doit des textes, des blues, des harangues et des poèmes qui étayent des compositions et des improvisations musicales orientées vers l'histoire, les drames et les révoltes des « Américains africains » (selon son expression). Shepp a toujours associé liberté musicale et volonté de témoigner et de militer, dès sa période Impulse !, le premier éditeur important à avoir misé sur la nouvelle vague du jazz, auprès duquel il a été introduit par Coltrane. Rufus (1963), sur le lynchage, Malcolm, Malcolm, semper Malcolm (1965), hommage à Malcolm X enregistré quelques mois après l'assassinat du militant afro-américain, ou encore On this Night (1965), sur W.E.B. DuBois et les luttes pour l'émancipation noire, sont des exemples caractéristiques de cette fusion, démarche qui se prolongera selon diverses références, grandes figures de sa communauté ou tragiques évènements, comme des émeutes dans une prison (la suite Attica Blues, enregistrée en 1972, reprise en 1979 avec son Attica Blues[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Daniel SAUVAGET : économiste, critique de cinéma
Classification
Média