ARCHITECTES ET INGÉNIEURS (expositions)
L'ouvrage d'art et le grand bâtiment public ou industriel prennent place à la frontière de deux cultures, celle des architectes et celle des ingénieurs. Confrontation et complémentarité, affirmation d'autonomie et source mutuelle d'inspiration, l'ambiguïté paraît marquer cette rencontre. Les démarches intellectuelles s'opposent : l'architecte affirme une vision d'ensemble au nom de ses conceptions esthétiques, l'ingénieur recherche rationnellement la meilleure solution à un problème. Héros des temps modernes, l'ingénieur est allé jusqu'à nier l'a priori architectural, déclarant que la justesse des idées techniques révèle d'elle-même l'harmonie des matériaux et des formes. Si, dans les années 1920, Le Corbusier a constaté la mort d'une architecture restée traditionnelle, il a aussi annoncé ses formidables possibilités de renouvellement par les ingénieurs et les constructeurs.
Deux expositions ont entrepris un bilan de l'héritage technique, architectural et esthétique laissé par l'industrialisation, dans son legs d'édifices et par l'évocation de ses acteurs les plus marquants. L'une, L'Art de l'ingénieur, constructeur, entrepreneur, inventeur, s'est tenue au Centre Georges-Pompidou, du 26 juin au 29 septembre 1997, concrétisant une vaste collaboration internationale. L'autre, Images du patrimoine industriel des États-Unis, a présenté un ensemble de photos à l'Écomusée du Creusot, à la mairie du IIIe arrondissement de Paris, puis à Milan, entre le 13 juin 1997 et le 31 août 1998.
Par ses grands thèmes chronologiques, la première manifestation entreprit une large rétrospective de deux siècles de travaux publics, de constructions remarquables et de recherches structurelles. Le sujet se révéla immense, au risque de submerger plus d'un visiteur. Toutefois, un volumineux dictionnaire offrait la possibilité de prolonger la visite et de l'approfondir. Par son approche encyclopédique, L'Art de l'ingénieur cherchait à combler un déficit en matière de culture technique et industrielle, restituant la richesse de l'histoire des grands édifices fonctionnels depuis deux cents ans.
Dès la fin du xviiie siècle, les premières entreprises britanniques firent apparaître les ingénieurs civils, un nouveau groupe social, complété, en France, par les ingénieurs au service de l'État et formé par ses écoles (Polytechnique, Ponts et Chaussées, Mines...). La production en quantité du fer et de ses dérivés, à partir du coke, conduisit à son utilisation dans de grandes arches en fonte (Ironbridge, 1779). Puis les ponts suspendus jouèrent un rôle prépondérant pour un usage différent des matériaux et l'apparition de structures inédites (premier tiers du xixe siècle). Les « ponts poutres » horizontaux, les grandes charpentes des gares, puis les immenses viaducs ferroviaires marquèrent le triomphe du métal. Crystal Palace (Londres, 1851), Brooklyn Bridge (New York, 1883), Forth Bridge (Écosse, 1888), la tour Eiffel (Paris, 1889) incarnent une époque sûre d'elle-même.
À partir du changement de siècle, un matériau jusque-là caché dans les fondations s'imposa lentement : le béton. Utilisé seul lorsqu'il n'est sollicité qu'en compression, il se généralisa grâce aux armatures en fer qui lui permettent de résister aussi en traction. Matériau composite, fabriqué sur place, il s'adaptait bien au chantier, donnant de multiples structures monolithes (ponts, barrages...), ou d'amples coques fines et continues (hangars, halles...), qui déroutèrent moins les architectes que la mécanique d'assemblage du fer. Dès les années 1920, Eugène Freyssinet proposa la précontrainte du béton ; mais cette technique ne s'appliqua vraiment qu'après 1945, participant au[...]
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Écrit par
- Michel COTTE : professeur émérite à l'université de Nantes
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