CLASSIQUE ARCHITECTURE
Du bon usage d'un mot : langage classique et grand style
Pour sortir de cet imbroglio sémantique, il convient sans doute d'exclure les appellations trop vagues où les deux termes sont en concurrence et se chevauchent sans contenu précis (âge classique, âge baroque, France classique, France baroque).
On peut sans doute au contraire continuer d'utiliser le terme de classique au sens large, qui correspond à un phénomène culturel précis : « est classique un édifice dont les éléments décoratifs proviennent directement ou indirectement du vocabulaire architectural du monde antique – du monde classique comme on l'appelle souvent » (Summerson). En ce sens, on peut parler de langage classique de l'architecture, ce « latin » de l'architecture, « langage commun à presque tout le monde civilisé pendant les cinq siècles qui ont suivi la Renaissance », et conduire l'histoire de l'architecture classique en France du début du xvie siècle à la Première Guerre mondiale.
« L'architecture classique » entendue ainsi dans ce sens large trouve son unité dans ce retour vers la civilisation antique, qui offre non seulement un langage architectural avec sa syntaxe, son vocabulaire, ses motifs, ses types, mais une symbolique qui joue directement ou indirectement sur la plupart des compositions architecturales.
Le langage des ordres constitue, comme l'ont bien montré Summerson et Forssman, des catégories syntaxiques et stylistiques fondamentales (voir Les Temps modernes, in ordres de l'architecture). Pendant ces cinq siècles, les architectes ne cessent de revenir vers les mêmes prototypes antiques, arcs de triomphe, thermes, théâtres, temples, etc., et leurs compositions peuvent à leur tour devenir modèles, comme le tempietto de Bramante, qui semble couronner la cathédrale Saint Paul à Londres, ou les villas palladiennes, dont s'inspirent encore deux siècles plus tard Anglais, Américains et Français. Sans se lasser, les architectes européens proposent de multiples variations sur les mêmes thèmes : copies littérales de l'antique, comme l'église de Covent Garden par Inigo Jones (1631), qui s'inspire de la description de Vitruve, ou l'hôtel de ville de Birmingham, conçu comme un temple périptère (1832) ; motifs déplacés, comme les arcs de triomphe installés sur les façades d'églises (Saint-André de Mantoue, 1472), ou de palais (palais de Charles V à Grenade, 1527-1568), ou les salles thermales, qui inspirent le traitement des espaces des grands halls de gare éclectiques ; compositions hybrides, comme la façade du Louvre de Lescot qui combine les ordres superposés du Colisée et le motif des arcs de triomphe, ou le Panthéon de Soufflot qui superpose un péristyle de temple et une variation sur le thème du tempietto rond de Bramante. Il y a là un héritage culturel commun, qui par-delà les étiquettes stylistiques assure le lien entre le Panthéon de Rome, la chapelle de Maser dessinée par Palladio, la façade sur cour de la chapelle de la Sorbonne par Lemercier, Sainte-Marie-de-l'Assomption à Ariccia par Bernin, la bibliothèque de l'université de Virginie à Charlottesville par Jefferson.
À l'intérieur de ce grand mouvement, on distingue communément plusieurs phases : première renaissance florentine, haute renaissance romaine, maniérisme, baroque et/ou classicisme, rococo, qui est surtout un style ornemental, néo-classicisme, où les références s'élargissent à la Grèce et à l'Égypte, éclectisme classique ou classicisme éclectique. Il est difficile d'éviter ces appellations, qu'on emploie par commodité pour faire bref ; elles n'en restent pas moins les traces encore trop sensibles d'une conception hégélienne de l'histoire, qui fait obstacle à une véritable « analyse » des phénomènes, centres artistiques, milieux spécifiques et groupes intellectuels, force des traditions locales (un[...]
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Écrit par
- Claude MIGNOT : professeur d'histoire de l'art à l'université de Paris-IV-Sorbonne
Classification
Médias
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