ARCHITECTURE COLONIALE ET PATRIMOINE (dir. M. Pabois et B. Toulier)
La publication des actes de la table ronde organisée, en septembre 2003, par l'Institut national du patrimoine à Paris sur le thème de l'architecture coloniale et du patrimoine (I. L'Expérience française, I.N.P.-Somogy, Paris, 2005, suivi de II. Architecture et patrimoine coloniaux européens, ibid., 2006) s'inscrit dans une dynamique forte au sein de la recherche en histoire de l'architecture : l'élargissement des investigations à des aires géographiques plus larges que le seul périmètre occidental.
L'intégration des anciens territoires coloniaux dans la réflexion sur le patrimoine contemporain fait naturellement partie de ces nouveaux domaines, et n'en est pas le moins difficile à appréhender. Michel Clément le souligne dans son avant-propos : « Le sujet est encore sensible plus de quarante années après le mouvement de décolonisation des anciens territoires français. » La multiplication des recherches, au cours de ces dernières années, peut être vue en effet comme l'une des manifestations d'un travail plus global sur la mémoire coloniale. Elle traduit encore la place déterminante et éminemment symbolique de l'objet construit, à travers les différents temps du fait colonial : conquête, colonisation, assimilation, décolonisation, jusqu'à la période actuelle, caractérisée par la notion de patrimoine partagé.
Bernard Toulier dresse en introduction un tableau d'ensemble des problématiques liées à l'architecture coloniale, dont il rappelle qu'elle a, en 2001, été déclarée par un comité d'experts internationaux comme l'un des thèmes privilégiés pour les critères d'évaluation de l'architecture des xixe et xxe siècles, sur la liste du patrimoine mondial de l'U.N.E.S.C.O. La question des sources compte parmi les thèmes récurrents qu'étudient plusieurs essais. Par définition éclatées entre deux mondes, les archives de la construction se révèlent tout aussi dispersées dans les différents centres de la métropole. Aussi la fabrication d'outils de recherche adaptés, assurant une connexion entre les multiples sources, figure-t-elle parmi les chantiers prioritaires en ce domaine.
Autre question qui fonde l'étude de l'architecture et du patrimoine coloniaux : la circulation des formes, des modèles, des matériaux. Non seulement l'architecture coloniale n'est pas une reproduction à l'identique de celle de la métropole, mais elle en est en bien des cas l'inspiratrice : l'urbanisme français en Afrique du Nord fut ainsi un laboratoire qui a permis de tester la validité des méthodes de l'École française d'urbanisme (laquelle aura d'ailleurs peu d'occasions de faire ses preuves sur le territoire français). L'exemple du Maroc du maréchal Lyautey, et plus particulièrement celui de Casablanca, étudié par Jean-Louis Cohen et Monique Eleb, est l'un des plus probants, et ce d'autant plus que l'architecture casablancaise se nourrit d'influences multiples (espagnole, américaine, scandinave), et non pas spécifiquement françaises. Quant au « centre de rayonnement culturel » imaginé en 1959 par l'administrateur colonial Émile Biasini pour Fort-Lamy (N'Djamena, Tchad), il aura malgré son échec une résonance majeure avec la construction en France des maisons de la culture dans les années 1960.
La réception et la prise en compte des valeurs patrimoniales au sein des anciens pays colonisés constituent l'un des points les plus délicats. Comme après lui plusieurs auteurs traitant de cas précis (le Sénégal, l'Afrique de l'Ouest, le Vietnam, la ville de Phnom Penh), Bernard Toulier ne manque pas de poser des questions de déontologie spécifiques : comment justifier la valeur « interne » de bâtiments conçus depuis la métropole ? L'architecte et ingénieur Tristan Guilloux, dans[...]
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Écrit par
- Simon TEXIER : professeur, université de Picardie Jules-Verne
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