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ARCHITECTURE & MUSIQUE

La comparaison, tentée à maintes reprises, entre architecture et musique a donné lieu en général à des slogans du genre « l'architecture est une musique figée ». On ne s'est pas privé non plus de constater que les œuvres de la « grande » musique occidentale s'étaient peu à peu solidifiées en objets, et que la complexité de leur architectonique autorisait que l'on parlât à leur propos d'édifices. Fallait-il pousser plus loin les métaphores ? On s'estimait d'autant plus habilité à le faire qu'un certain pythagorisme avait habitué les esprits à découvrir un peu partout des relations d'harmonie entre le macrocosme et les différentes échelles microcosmiques : pourquoi les rapports entre intervalles musicaux et proportions architecturales eussent-ils échappé à la règle ? La musique, d'autre part, ne s'est érigée que progressivement en art autonome : elle n'intervient guère en tant que telle à l'aube du christianisme, dont les offices sont parlés ou déclamés avant d'être chantés ; c'est à des préoccupations liturgiques plutôt que musicales que l'on doit la géométrie pentagonale de la nef byzantine de Sainte-Sophie de Constantinople, ou des cinq coupoles de Saint-Marc de Venise, en correspondance avec l'articulation des cinq parties de la messe (Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus, Agnus Dei). Et, pourtant, un Spengler s'extasiera devant l'apparente similitude entre le plan de l'églisebaroque des Vierzehn Heiligen, en Bavière (1772), et les quatre parties symétriques de la fugue à quatre voix en ut majeur (env. 1730-1740) de Jean-Sébastien Bach : tout se passe comme si le musicien n'avait eu de cesse qu'il ne comblât le relatif retard de rigueur numérologique qui le handicapait au départ face à l'architecte.

Néanmoins, à l'exigence d'une correspondance stricte, et mathématiquement mesurable, entre les réalisations des deux arts, fait pièce la constatation historique d'un décalage évolutif ; on s'explique dès lors que le Hegel des Leçons sur l'esthétique se soit senti obligé de ne confronter musique et architecture que de façon partielle : art premier, l'architecture ne peut rencontrer pleinement la musique, art romantique, parce que leurs matériaux ne coïncident guère, et que l'intériorité spirituelle ne trouve historiquement à se déployer qu'une fois épuisés, ou du moins émoussés, les prestiges de l'extériorité matérielle. Certes, les deux arts tablent sur l'« harmonie de rapports qui se laissent ramener à des nombres ». Mais même s'il est vrai, comme le veut Schelling, que l'architecture est « une musique figée », cela ne peut se dire qu'à partir du moment où la musique elle-même s'est développée en une architecture vivante, qui laisse loin derrière elle la structure en arabesque du décor interne propre aux pyramides ou aux catacombes, tous édifices qui ne font que rationaliser la représentation de la mort. La mission de la musique serait donc d'aider l'architecture à se libérer de toute réduction « à des déterminations numériques et à des mesures précises ». Se réclamant de l'eurythmie, la musique transcende la pesanteur ; si elle rencontre l'architecture classique, ce ne sera pas pour rivaliser de rigueur avec elle, mais pour la rappeler à sa vocation, qui est de démentir, à force de fluidité et de richesse, tout excès d'inféodation à la « rationalité de ses formes ».

Hegel devance donc Spengler, ainsi que tout idéologue qui professerait la thèse d'une interdépendance absolue entre les deux arts : une musique n'est nullement mieux comprise si elle résonne dans un lieu dont les proportions sont elles-mêmes « musicales ». Mais ne faut-il pas aller plus loin ? La technologie actuelle n'invite-t-elle[...]

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Écrit par

  • : musicien, philosophe, fondateur du département de musique de l'université de Paris-VIII

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Taormina : le théâtre grec - crédits : Peter Adams/ Stone/ Getty Images

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