ARCHITECTURE & MUSIQUE
Les interférences entre structures sonores et espaces structurés
C'est à l'acousticien et musicologue allemand Fritz Winckel que l'on doit d'avoir élaboré une histoire plausible – à la fois concrète, précise et raisonnée – des interrelations de l'architecture et de la musique, examinées sous l'angle décoratif et non plus formel. On en résumera ici brièvement les principales étapes.
Première remarque : tout ou presque, dans le cours d'une telle histoire, est affaire de clôture. Winckel commence par faire sienne la constatation célèbre d'Hector Berlioz : « La musique en plein air est un non-sens. » L'agent de diffusion qu'est l'espace ambiant, pour autant qu'il soit fermé, exerce une influence décisive sur l'appréciation de la matérialité des sons : une génération entière d'auditeurs (mais aussi bien d'interprètes) peut voir son plaisir musical se faner, ou au contraire s'exalter, au gré de la conformité plus ou moins réussie de la musique à l'acoustique du lieu ; comme le degré de résonance ou de réverbération de ce dernier est fonction du style de l'architecte, on conçoit la nécessité, pour celui-ci, de se plier aux contraintes (elles-mêmes stylistiques) des musiques qui viendront hanter sa construction. Inversement, il n'est pas rare de voir une architecture dicter en quelque sorte un renouvellement stylistique à tel interprète, voire à tel compositeur.
Seconde remarque : le degré zéro de cet entrelacement des contraintes – au moment où l'on ignorait la fonction acoustique de l'espace, et où les édifices convenables faisaient défaut – n'est pas à négliger, car il conditionne tout un pan d'histoire, et par là l'ensemble de l'évolution ultérieure. À l'origine, observe Winckel, la musique ne pouvait se détacher du support verbal. Là encore, le phénomène de clôture a dû jouer : du fait notamment qu'en zone subtropicale la notion d'abri n'avait qu'une importance relative, le développement de la musique n'a pu bénéficier de l'aménagement d'espaces fonctionnels ; ceux-ci, en revanche, ont proliféré sous les climats tempérés, ce qui a précipité les conjonctions entre les deux arts.
Si l'on aborde maintenant le théâtre grec, il est clair que le rond de l'orchestre, même à moitié encerclé par les gradins, manquait de surfaces de réflexion susceptibles d'assurer une réverbération efficace. Les subterfuges – « vases sonores » de Vitruve, panneaux verticaux du proscenium, masques des acteurs – permettaient sans doute d'optimiser la diction, mais ils devaient demeurer inopérants en ce qui concerne la musique (au reste confidentielle, puisque confiée à des instruments au rendement énergétique faible : l'aulos ou flûte de roseau, la lyre, la cithare). En somme, tout – y compris le vocable mousikê, désignant l'unité du verbe et du son – militait en faveur d'un privilège consenti au drame, ou à l'expression poétique ; et l'ouverture à tous vents de l'espace ne favorisait guère les effusions musicales.
La situation se transforme de façon notable à l'époque de Rome. D'une part, on améliore l'acoustique des théâtres grecs existants – comme celui de Taormina, en Sicile – en élevant, derrière la scène, des parois réfléchissantes ; de l'autre, on édifie des théâtres fermés – celui d'Orange, ou le Panthéon surmonté d'une coupole (entre 118-128 après J.-C.) –, dont les murs répercutent plusieurs fois les sons et autorisent leur fusion en une image « plastique », c'est-à-dire investie des propriétés particulières de l'espace ambiant, désormais plus intensément perceptible qu'à l'aide de la seule vue.
On ne s'explique guère dans ces conditions[...]
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Écrit par
- Daniel CHARLES : musicien, philosophe, fondateur du département de musique de l'université de Paris-VIII
Classification
Média
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