Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ARCHITECTURE & MUSIQUE

Une nouvelle problématique ?

Il semble bien que les années 1910 aient vu la remise à zéro de l'ensemble des anciens indicateurs et compteurs artistiques (et non artistiques). C'est à cette époque, selon Jean Gebser, que commence véritablement à se profiler ce qu'il appelle « la percée vers un monde sans perspective » : aux trois dimensions traditionnelles, on ressent le besoin d'ajouter la « quatrième dimension » du temps et du changement. Un Braque et un Picasso en viennent, comme le dit encore Gebser, à « assembler les formes cubiques en sorte que naisse l'illusion d'un processus qui s'accomplit dans un espace infini. Qui veut rendre visible l'infini de l'espace doit, pour ainsi dire, introduire picturalement le temps à titre de quatrième dimension. Il doit montrer comment chaque acte visuel, couche par couche, superpose à la précédente image une image saisie sous des aspects continuellement renouvelés – et, au moyen de ces composantes, rendre perceptible une sorte d'événement spatio-temporel ».

Or c'est presque dans les mêmes termes que l'architecte et compositeur Iannis Xenakis s'insurge, en 1958-1959, contre la stagnation qu'il croit devoir constater dans le domaine de la peinture et de la sculpture : « Deux arts, écrit-il, qui, tout en utilisant les effets de la lumière au contact de la matière, sont restés enfermés dans leur immobilité séculaire. Le tableau (fresque, tapisserie, etc.) et la sculpture (objet, monument, outils, etc.) sont statiques. Le réseau conceptuel et sensoriel d'un tableau ou d'une sculpture est donné d'un bloc à l'instant où le regard s'y arrête. Le temps est suspendu. »

Seulement, ce n'est pas à l'aide du cubisme que Xenakis envisage de « mobiliser » les arts plastiques. « Sans ironie, dit-il, c'est seulement le cinéma qui a doté l'image d'une troisième dimension réelle, le temps. » Si, donc, la peinture consent à « s'adjoindre le concept de temps », elle se doit de devenir « cinématique ». Elle pourra « bondir réellement dans l'espace » si elle substitue à l'écran plan – qui n'est autre qu'une petite fenêtre – « des écrans gauches, de courbures variant entre des limites très grandes », et susceptibles de se déplacer « sur toutes les parois d'une salle construite à cet effet entièrement en surfaces gauches » ; de même, elle devra perfectionner les techniques de projection, en créant « des ambiances colorées issues de jets rythmés et en couleurs », lesquelles, « avec leurs effets frisants ou perpendiculaires », transformeront les configurations spatiales des surfaces gauches.

Tout cela, reconnaît Xenakis, exige une nouvelle architecture. Et la musique, à son tour, en réclame une. Elle a, de son côté, subi des bouleversements comparables à ceux de la peinture, et, « chose assez surprenante, environ aux mêmes époques. Nous pouvons admirer la simultanéité de l'évolution abstraite dans d'autres domaines de l'activité humaine en faisant un parallèle avec la naissance de l'algèbre moderne (abstraite) qui se situe vers 1910 ». L'adoption – avec l'atonalité – du principe d'équivalence des douze sons tempérés a ensuite permis de développer « des opérations portant sur des êtres purs » ; c'était toutefois au prix de l'acceptation d'une « contrainte linéaire de structuration », qu'il faut aujourd'hui lever. De même, la musique sérielle a refusé d'admettre les sons à variations continues : se voulant exclusivement ponctuelle, elle rejette le glissando. « Pourtant, la variation continue d'un son est un deuxième aspect complémentaire de son existence dans le temps. Elle nous fait songer à la complémentarité du corpuscule et de l'onde en physique ondulatoire. Il n'y a aucune raison de se priver de cet enrichissement[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : musicien, philosophe, fondateur du département de musique de l'université de Paris-VIII

Classification

Média

Taormina : le théâtre grec - crédits : Peter Adams/ Stone/ Getty Images

Taormina : le théâtre grec

Autres références

  • ACOUSTIQUE ARCHITECTURALE

    • Écrit par et
    • 3 158 mots
    • 1 média
    L'acoustique des salles est un domaine d'activité où concourent la science, l'art, l'architecture et la psychologie. C'est le champ d'étude de prédilection de l'interaction entre l'homme et son environnement sonore.
  • TEATRO COLÓN, Buenos Aires

    • Écrit par
    • 1 348 mots

    C'est le 27 septembre 1825 que fut représentée à Buenos Aires, pour la première fois, une œuvre lyrique intégrale : Le Barbier de Séville de Rossini, au Teatro Coliseo. Mais l'actuel Opéra, le Teatro Colón, ne fut inauguré que le 25 mai 1908, avec Aïda de Verdi, après un chantier...

  • XENAKIS IANNIS (1922-2001)

    • Écrit par et
    • 2 898 mots
    ...arithmétiques primaires, il jette une passerelle entre l'image abstraite d'un modèle mathématique et l'application de ce modèle sur le monde sonore. En 1954, pendant qu'il travaillait à agencer les surfaces courbes du pavillon Philips, il eut l'idée que les lignes droites, dont le déplacement engendrait...