- 1. La proto-industrie : un bâti d'emprunt
- 2. À la recherche d'une nouvelle rationalité technique : le temps des ingénieurs
- 3. L'usine et la réforme sociale
- 4. Historicisme et éclectisme
- 5. Les matériaux nouveaux
- 6. Le Werkbund et l'esthétique de l'usine
- 7. L'entre-deux-guerres : usine préfabriquée et usine d'architecte
- 8. Bibliographie
INDUSTRIELLE ARCHITECTURE
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Les bâtiments industriels sont entrés, depuis la fin des années 1970, dans le champ d'investigation des historiens de l'architecture. Ceux-ci se sont interrogés sur les modalités de conception et les processus d'évolution de l' usine à l'ère de la révolution industrielle : en observant la période d'apparition du machinisme, on allait voir naître une nouvelle rationalité de l'architecture, et émerger les principes du fonctionnalisme. Un débat s'est alors instauré, et il se poursuit aujourd'hui, sur le rôle qu'a joué et que joue encore l'architecture industrielle : l'usine comme matrice et lieu d'expérimentation de la modernité architecturale, ou l'usine comme pure enveloppe de machines de plus en plus complexes, et donc architecture inerte et strictement asservie à la production ? L'usine n'a sans doute mérité ni cet excès d'honneur ni cette indignité ; elle a évolué à l'intérieur d'un double système, celui du climat général de l'architecture, et celui des contraintes de l'économie. Tantôt elle emprunte ses schémas d'organisation à des secteurs plus dynamiques, adoptant sous la pression de la nécessité une stratégie de bernard-l'ermite, et tantôt elle invente ses propres formes. Comme on pouvait s'y attendre, l'innovation est toujours venue des branches d'activité en pleine expansion : ainsi, c'est la fonderie de canons qui a créé l'usine néoclassique à pavillons symétriques et façades ordonnancées, au moment où les guerres avec l'Angleterre exigeaient une grosse production de pièces d'artillerie, dans un système fortement contrôlé par l'État. De même, à l'âge d'or du chemin de fer, la construction des locomotives a provoqué l'apparition de grandes halles à charpentes métalliques capables de porter les ponts roulants nécessaires à la manutention de ces grosses pièces. Mais il ne faut pas perdre de vue que la technicité des bâtiments devenait alors une donnée générale, touchant tous les programmes : les halles de Paris avec leurs réseaux souterrains complexes, les immeubles d'habitation traversés par des systèmes de circulation des fluides, les théâtres avec leur machinerie sophistiquée sont aussi « fonctionnels » que la halle des locomotives du Creusot.
Au début du xxe siècle, délivrée, grâce à l'électricité, des contraintes de la transmission de l'énergie, libérée par l'emploi du béton des problèmes de structure, l'usine, comme le silo ou le hangar d'aviation, a pris valeur de modèle universel. Mais cet épisode brillant de son histoire doit plus, en fin de compte, à la mise en œuvre de techniques nouvelles qu'à la dynamique propre de l'industrie. Après la Seconde Guerre mondiale, la reconstitution du parc industriel qui s'est déroulée dans des conditions économiques difficiles a entraîné la banalisation et l'appauvrissement des formes ; et, aujourd'hui, l'évolution technologique accélérée, en imposant des schémas « flexibles », des structures démontables et des matériaux jetables, semble donner raison aux tenants d'une architecture industrielle asservie à la machine.
La proto-industrie : un bâti d'emprunt
Une contrainte pèse sur l'établissement industriel de l'âge classique : avoir à proximité une source d'énergie hydraulique, seule disponible à l'époque, et des matières premières. Les deux activités essentielles de l'Europe industrielle des Temps modernes, la métallurgie et le textile, sont étroitement dépendantes de ces nécessités : la « grosse forge » s'installe donc en pleine forêt, près d'un barrage qui régularisera un cours d'eau et garantira la fourniture d'une énergie constante, et à proximité du combustible, le charbon de bois, et du minerai. Les manufactures de drap s'implantent dans les ports de la Manche par où transitent les laines espagnoles, et les manufactures de tabac dans les ports de l'Atlantique.
À la logique de l'implantation correspond une stricte économie du bâtiment ; on construit selon des pratiques et des moyens locaux éprouvés : la halle de stockage du minerai ressemble à une grange, et la forge rurale organise son plan d'ensemble comme une grande ferme. Les établissements urbains des drapiers ne se distinguent des maisons voisines que par leur « grenier-étente ». Lorsque l'entreprise se développe, on a recours au modèle supérieur du même programme : de maison urbaine, la manufacture devient hôtel sur plan en U avec cour d'honneur et basse-cour, corps central et ailes (Sedan : le Dijonval, 1755 ; Abbeville : manufacture des Rames, 1709). La forge qui s'agrandit emprunte au château son plan général et ses schémas formels : ainsi, Buffon, naturaliste et fermier général, implante-t-il en Bourgogne (Montbard, 1776) un ensemble métallurgique où le haut fourneau est architecturé comme une chapelle seigneuriale, dont il occupe d'ailleurs la situation par rapport au logis du maître.
Quant à l'expression de la fonction de production des manufactures royales, elle est secondaire par rapport à leur rôle d'affirmation d'un pouvoir régalien, ainsi la manufacture de tabac de Séville (1728-1770), la manufacture de soie du roi de Naples, à Caserte, et la Monnaie de Paris (par Antoine, 1767) sont-elles de véritables palais urbains.
On retrouve la trace de ces incertitudes sémantiques dans les traités des spécialistes ; en théoricien du « caractère », J. F. Blondel déplore cette indétermination : « Les manufactures de Sèvres et Abbeville peuvent servir de guide pour l'expression à donner à la décoration des façades des manufactures, encore doivent-elles leur célébrité plus à leur agrément et à leur utilité qu'à l'ordonnance de leur architecture, le caractère propre à chaque édifice étant la partie la plus négligée chez nous » (Cours, t. II, p. 339). En praticien de la construction, François Cointereaux s'accommode de cette situation et publie un ouvrage au titre significatif : Traité sur la construction des manufactures et des maisons de campagne (1791).
Cette absence de caractère propre permet d'ailleurs des réaffectations précoces : la fabrique de drap d'Elbeuf est convertie dès le xviiie siècle en résidence ducale, et le moulin à marée des forges d'Indret (par Touffaire, 1778) est transformé en chapelle après soixante ans de service actif.
Enfin, la manufacture peut emprunter son modèle à l'organisation villageoise : à la draperie de Villeneuvette à Clermont-l'Hérault, créée en 1678, les ateliers, les logements ouvriers et la chapelle sont distribués autour d'une place plantée autour d'une fontaine, où l'on pénètre par une porte de ville.
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Écrit par
- Françoise HAMON : professeur d'histoire du patrimoine à l'université de Paris-IV-Sorbonne
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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- MÉTAL, architecture
- FER & FONTE, architecture
- INDUSTRIELLE SOCIÉTÉ
- GOTHIC REVIVAL ou NÉOGOTHIQUE
- PRÉFABRICATION INDUSTRIELLE
- MANUFACTURES ROYALES
- INGÉNIEURS
- BÉTON, architecture
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