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INDUSTRIELLE ARCHITECTURE

À la recherche d'une nouvelle rationalité technique : le temps des ingénieurs

La révolution industrielle anglaise provoque, dans ces deux domaines essentiels, celui de la métallurgie et celui du textile, l'apparition de nouvelles conceptions de l'espace de production : le textile mill (usine textile fonctionnant avec la force hydraulique), qui permet d'améliorer à la fois la transmission de l'énergie et la surveillance des travailleurs, consiste en un bloc de trois, quatre et bientôt six étages, long d'au moins dix travées et souvent de plus du double. Apparu à Derby (Lombe's silk mill, 1718-1721), le modèle se répand rapidement dans tout le pays, se perfectionne (filatures Arkwright) et colonise toute l'Europe : l'Allemagne, la Suède, l'Autriche (Linz, 1722 ; Monshau, 1756 ; Augsbourg, 1770), l'Italie (au Piémont, Casella, après 1720 ; Colleona, après 1730) et bientôt les nouveaux États américains (Lowell, 1798). En France, le type apparaît à son point d'aboutissement après 1780, à Louviers (Cie Fontenay, 1784) puis à la manufacture de toiles imprimées Oberkampf, à Jouy-en-Josas (1793). La région de Mulhouse se couvre de ces grandes usines massives entre 1810 et 1830. Le modèle connaît des variantes liées à des technologies spécifiques : travail de la soie dans les Cévennes, travail du papier et, surtout, meuneries où le blé est traité par gravitation sur cinq étages. Les mills anglais, américains, français ou italiens sont complètement dépourvus d'ornement, seulement rythmés par une ordonnance régulière de grandes baies, sans aucune modénature. Il semble qu'en Europe centrale on ait un peu plus soigné le décor des textiles mills.

La métallurgie et la mine produisent un autre type de système rationnel : l'usine-ville, régie par les lois de l'urbanisme théorique, dont la référence est donnée par Ledoux pour les salines d'Arc-et-Senans (1781-1804), et pour un projet de forges qui s'organise comme une ville antique autour de l'intersection d'un cardo et d'un decumanus ; mais l'architecte, s'il a systématisé la composition, a disposé les hauts fourneaux aux angles du quadrilatère au mépris de l'organisation du travail.

Dans la réalité, ce sont les ingénieurs militaires et civils qui sont devenus les véritables acteurs de l'organisation de l'espace de production : P. Touffaire, ingénieur de la Marine, aux forges d'Indret (1778), au Creusot (1779), puis dans la région parisienne, L. Navier, J. Cordier ou L. Bruyère, ingénieurs des Ponts et Chaussées et professeurs à l'École, dressent les plans d'ensembles industriels, d'arsenaux, de fonderies « pour l'artillerie et le commerce », et d'usines diverses qui combinent la symétrie du plan avec la logique des postes de travail, la fonctionnalité des circulations avec l'élégance du parti architectural. Au Creusot, ou encore aux forges de Ruelle, en 1786, les ingénieurs ont conservé les schémas d'élévation hérités de l'architecture logistique (poudrières ou casernes) de Vauban. Mais, à partir de 1800, les élévations des ateliers s'organisent à partir de la répétition, en principe illimitée, de l'arcade en plein cintre, selon les méthodes de conception de L. N.  Durand, professeur d'architecture de la nouvelle École polytechnique. Le modèle qui se constitue alors restera valide pour plus de quatre-vingts ans, en particulier pour les mines et l'industrie métallurgique. La muralité s'affirme, les toitures s'abaissent, perdent leur brisis et leurs croupes au profit d'un fronton-pignon éclairé par un oculus ou une demi-lune, et bientôt par une fenêtre serlienne. Vers 1830, le lanterneau se répand, système de ventilation autant que d'éclairement.

Au milieu du xix[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire du patrimoine à l'université de Paris-IV-Sorbonne
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

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Médias

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Circuit automobile de l'usine Fiat Lingotto, Turin

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