ORGANIQUE ARCHITECTURE
Équivoques romantiques
Il convient de dissiper les principales équivoques qui guettent celui qui s'attache à définir les caractéristiques de l'architecture organique. Formes curvilignes, anormales, arbitraires, au lieu de l'équerre, du compas et de la rigueur géométrique : au contraire, le plan d'aménagement d'Alger et les édifices brésiliens d'Oscar Niemeyer sont dessinés à main levée, mais ils ne peuvent être qualifiés d'organiques, parce que l'ondulation concerne plus les volumes que les espaces. Vocation au naturalisme, au vernaculaire, à l'anonymat du monde primitif : au contraire, Wright fut accusé d'égocentrisme, et il est certainement le génie le plus personnel de l'histoire moderne. Langage adapté aux maisons familiales, à la campagne, et non aux contextes urbains : cette thèse est réfutée par le gratte-ciel Price de Bartlesville, dans l'Oklahoma, et par le musée Guggenheim de New York. Prémisse du rationalisme, en ce que l'intuition anticipe le raisonnement, que le Paléolithique précède le Néolithique ; mais la villa Hadriana à Tivoli, le bas-antique et l'urbanisme médiéval viennent après le géométrisme gréco-romain, tout comme le maniérisme et le baroque succèdent à la Renaissance. Wright nourrit de vastes secteurs du rationalisme européen, mais il a puisé lui-même dans le rationalisme de l'école de Chicago des années 1883-1893. L'architecture organique moderne naît d'une maturation du rationalisme, Aalto ne renie pas Le Corbusier ; mais il ne veut pas être fonctionnel seulement en ce qui concerne la technique de construction, l'hygiène et les comportements, mais aussi relativement aux conditions anthropologiques et à l'inconscient. Les connotations psychologiques ne sont pas de nature romantique, elles touchent à la science, à la proxémique, qui étudie les lois des distances dans les différents groupes, à la psychanalyse.
Pour les architectes organiques, l'architecture classique est celle du pouvoir, des institutions répressives, des dictatures politiques et intellectuelles, des superstructures idéologiques, illuminisme inclus : c'est l'architecture close, de l'objet en soi, qui, depuis la Renaissance, se soumet à l'instrument perspectif, c'est-à-dire à une méthode de coordination globale, inflexible, fondée sur le dessin et sur des axiomes abstraits ordonnant « comment il faut vivre et habiter ». Le courant organique fait confiance, au contraire, aux énergies individuelles, il s'oppose à la massification des consciences ; il est ouvert, s'insère dans le continuum du paysage naturel ou urbain et modèle dynamiquement les espaces et les enveloppes ; il se défie, en conséquence, de toute loi a priori, et par-dessus tout de la perspective qui privilégie un point de vue. Il aspire à être le décor de la démocratie et du peuple, et non de la foule et de l'État ; il va souvent chercher son inspiration dans les constructions « mineures », édifiées « sans architectes » par les artisans et les paysans pour qui la fonctionnalité humaine est incomparablement plus importante que les canons de la beauté extérieure. L'architecte classique part d'une forme statique et en subdivise l'intérieur ; l'architecture organique naît de l'intérieur et se déploie ; elle est formation plus que forme ; elle manifeste un processus de croissance, et fait exploser l'espace, à moins qu'elle ne le régénère comme cela se produit chez Borromini. À l'objet fini de l'architecture classique, on ne peut rien ajouter ni retrancher : c'est une architecture gouvernée par la symétrie ou la proportion ; au contraire, l'architecture organique décrit et exalte non l'objet, mais la vie qui le détermine.
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Écrit par
- Bruno ZEVI : professeur d'histoire de l'architecture, auteur, président du Comité international des critiques d'architecture
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